Bayrou et Vautrin nous écrivent : à nous de ne pas finir dans la corbeille

Le 23 septembre prochain, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) tiendra sa réunion plénière. Pour ceux qui ne le savent pas, le CNLE est une instance consultative qui rassemble l’État, les collectivités, les associations, les syndicats, les chercheurs et surtout les personnes concernées par la pauvreté. Autrement dit, un lieu où se croisent expertise institutionnelle et savoirs de terrain.

Cette réunion aura une saveur particulière : une grande partie des discussions sera consacrée aux deux lettres de mission adressées au Conseil cet été. Fait exceptionnel, l’une émane directement du Premier ministre. Ce n’est pas tous les jours que Matignon saisit le CNLE : signe que la lutte contre la pauvreté est remise au cœur du débat… ou que le gouvernement cherche à se donner bonne conscience. À nous de montrer que nous sommes à la hauteur, aussi bien vis-à-vis de l’exécutif que des associations, des syndicats et, avant tout, des personnes qui vivent la pauvreté au quotidien.

Soyons francs : les délais sont serrés. On nous demande des rendus au printemps 2026, avec un premier point d’étape dès la fin 2025. Le volume de travail est énorme, et il faudra produire vite, bien et collectivement. La vraie crainte, partagée par beaucoup, est que tout cela finisse dans les corbeilles à papier gouvernementales, comme tant de rapports avant. Mais le CNLE n’est pas là pour faire de la figuration. Il devra être attentif, exigeant et démontrer qu’il peut être utile, autrement que comme simple chambre d’enregistrement.

François Bayrou : fixer un cap national chiffré

Dans sa lettre du 13 août 2025, François Bayrou trace une ligne politique : donner à la France un objectif national de réduction de la pauvreté à dix ans.

« Je souhaite saisir le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale pour définir un objectif chiffré, crédible et volontaire, de réduction de la pauvreté à dix ans » (Bayrou).

Ce n’est pas anodin. Bayrou se place dans la continuité des engagements pris au Sommet de Porto en 2021, où l’Union européenne avait fixé un horizon commun : réduire de 15 millions le nombre de personnes menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale d’ici 2030, dont 5 millions d’enfants. La France ne pouvait rester spectatrice.

Mais l’ambition du Premier ministre va plus loin que le seul indicateur monétaire. Il exige que soient pris en compte les privations matérielles et sociales, autrement dit la réalité vécue derrière les chiffres. Et il fixe ses priorités : familles monoparentales, enfants, travailleurs pauvres, grande exclusion. Autrement dit, les visages les plus visibles – et les plus oubliés – de la pauvreté.

La méthode est posée : une concertation large associant associations, collectivités, syndicats, entreprises, et les personnes concernées elles-mêmes. Ce n’est pas seulement un exercice statistique, c’est un chantier politique et social. Mais attention : l’expérience montre que les concertations peuvent tourner au bavardage si elles ne débouchent pas sur des décisions.

Christine Vautrin : l’alimentation comme levier d’inclusion

Quelques mois plus tôt, le 18 avril 2025, Christine Vautrin saisissait elle aussi le CNLE. Elle choisit un terrain concret, quotidien, mais stratégique : l’accès à l’alimentation.

« Dans un contexte de hausse du prix des denrées alimentaires et dans la perspective d’une adaptation des comportements d’achat au changement climatique, la question d’accès des publics vulnérables à une alimentation saine (…) se pose de façon cruciale » (Vautrin).

La ministre reprend à son compte les constats déjà portés par le CNLE dans son rapport Faire de la transition écologique un levier d’inclusion sociale. Pour elle, il ne suffit pas de distribuer de l’aide alimentaire : il faut repenser tout un système. Cela veut dire analyser la tarification de la restauration collective (écoles, hôpitaux, EHPAD, restaurants municipaux), expérimenter des outils comme les chèques alimentaires, encourager les jardins partagés, et surtout éviter les injonctions moralisatrices qui culpabilisent sans aider.

Ce n’est pas seulement une question de santé publique, c’est une question de dignité. Derrière l’alimentation se joue aussi la transition écologique : comment permettre à chacun d’accéder à une nourriture saine et durable sans creuser les inégalités ?

Deux missions, une même échéance

Les deux saisines convergent vers un calendrier commun. François Bayrou demande un point d’étape fin 2025 et des préconisations en juin 2026. Christine Vautrin fixe elle aussi la remise de conclusions au printemps 2026. Résultat : le CNLE va devoir travailler sur deux fronts en parallèle, avec des délais serrés et des attentes élevées.

Ce calendrier contraint peut être vu comme une pression, mais aussi comme une opportunité : celle de montrer que le CNLE n’est pas une instance marginale, mais bien un acteur central capable de produire des propositions sérieuses, construites, et surtout utiles.

Le cap et le chemin

Au fond, les deux lettres ne disent pas la même chose, mais elles se complètent. François Bayrou fixe le cap : réduire la pauvreté de manière mesurable et crédible, avec une méthode claire et une ambition européenne. Christine Vautrin propose le chemin : agir sur un levier concret – l’alimentation – où se croisent justice sociale, santé publique et transition écologique.

Le CNLE se retrouve ainsi investi d’un double rôle : être force de proposition stratégique et, en même temps, laboratoire de solutions concrètes. C’est stimulant, mais exigeant. Car au-delà des textes et des rapports, la vraie question reste toujours la même : est-ce que cela changera réellement la vie des personnes concernées ?

Le 23 septembre, lors de sa plénière, le CNLE aura l’occasion de poser les bases de ce travail et de montrer qu’il peut répondre présent. À nous de faire en sorte que ces saisines ne soient pas seulement un exercice bureaucratique, mais le point de départ d’une action politique qui compte.

 

Vous aimerez aussi...