Briller n’est pas militer

On m’a qualifié récemment d’« étoile montante » du CNLE. C’est aimable. Mais j’ai du mal avec ce genre de compliment. Parce qu’à force de regarder les étoiles, on oublie ceux qui marchent dans la boue. Et moi, c’est dans cette boue-là que je veux continuer à poser les pieds, aux côtés de ceux qui n’ont ni tribune, ni titre, ni réseaux.
Le compliment flatte, oui. Mais il me gêne, parce qu’il sous-entend une trajectoire ascendante, une ambition personnelle, un destin qu’on dessinerait vers le haut. Or ce n’est pas le haut qui m’intéresse, c’est le bas du dossier, le terrain, les réalités humaines souvent ignorées par les cénacles où l’on s’auto-congratule en parlant des pauvres comme d’un concept.
Briller n’est pas militer.
Militer, c’est autre chose. C’est un effort qui s’inscrit dans la durée, une fidélité à un peuple invisible, une parole qui n’est pas la sienne mais qui se fait relais, caisse de résonance, parfois écho lointain d’une détresse qu’on a connue de près.
Je ne suis pas entré au CNLE pour gagner en visibilité. Je ne cherche pas à faire carrière dans l’ombre d’un ministère ou à collectionner les cartons d’invitation. J’y suis venu avec mes valises pleines d’expériences, de blessures, d’engagements, de convictions, et surtout de cette obsession : rendre visibles celles et ceux qui ne le sont jamais.
Un parcours forgé dans l’expérience
Je viens de la Roseraie, un quartier populaire d’Angers. Là où on apprend vite que l’égalité est un mot trop souvent creux et que la fraternité se construit dans les solidarités concrètes. Mon école, ce fut la JOC, les cafés associatifs, les visites à domicile, les colères et les joies d’une vie partagée avec ceux qui n’ont rien.
J’ai été élu local, responsable associatif, paroissien engagé, syndicaliste par solidarité. À chaque fois, c’est la même ligne qui me guide : être là où l’on peut faire quelque chose d’utile. Pas spectaculaire. Utile.
Pas pour imposer, mais pour écouter. Pas pour parler à la place, mais pour aider à faire parler. Pas pour décider d’en haut, mais pour remonter ce que disent les gens d’en bas.
Le CNLE : une tribune, pas un trône
Le CNLE, ce n’est pas l’ONU. Mais c’est un endroit rare dans le paysage politique et social français : un lieu où l’on peut parler d’inégalités autrement qu’à travers des chiffres ou des schémas PowerPoint. Un lieu où la parole des personnes en situation de pauvreté est – en principe – reconnue comme légitime.
Alors j’y suis. Et j’essaie d’y faire entendre quelque chose de vrai. Parfois dans un silence poli. Parfois face à l’agacement feutré de ceux qui voudraient qu’on reste « à notre place ». Mais ma place, c’est celle que j’ai construite, pas celle qu’on m’assigne.
Être utile ici, c’est porter des avis avec sérieux mais sans perdre sa liberté. C’est batailler contre des logiques d’activation à tout prix. C’est refuser les sanctions humiliantes contre les bénéficiaires du RSA. C’est défendre une vision du social qui repose sur la confiance, pas le contrôle. Sur l’accompagnement, pas la surveillance.
Ni costume, ni étiquette
On me classe parfois. Centrisme, catholicisme social, gauche associative, sociologue de quartier, technicien à cœur militant… Allez-y. Étiquetez. Moi, je m’en fiche. Je ne suis pas un CV, je suis un chemin. Et ce chemin-là, je ne l’ai jamais emprunté pour être vu, mais pour voir. Et agir.
Ce qui compte, ce n’est pas l’étiquette. C’est ce qu’on fait. C’est à qui on tend la main. C’est ce qu’on accepte de perdre pour rester fidèle à ce qu’on croit. Parce qu’il y a des silences qui nous éloignent de nous-mêmes. Et des engagements qui nous réconcilient.
Pour conclure : être utile, pas décoratif
Je ne veux pas devenir un « profil » qu’on invite pour cocher la case « participation ». Je ne veux pas devenir cette étoile filante qu’on applaudit un temps avant de la voir disparaître dans la prochaine réforme. Je veux durer. Non pas pour moi. Mais pour ceux qui n’ont pas le luxe de décrocher.
Étoile montante, peut-être. Mais pour éclairer le réel, pas pour m’y brûler.
Et surtout, avec humilité. Je ne suis qu’un homme. Mais un homme debout.
Et tant que je le pourrai, je marcherai aux côtés des oubliés.
Pas devant eux. Pas à leur place. Avec eux.
