Catholique pratiquant et favorable à la fin de vie dans la dignité : plaidoyer d’un croyant libre
par Xavier BAUMIER · Publié · Mis à jour
Je suis catholique. Pratiquant. Fidèle à la messe dominicale, attaché à la prière, nourri par les sacrements, l’Évangile et les figures lumineuses qui ont éclairé ma foi. Je suis de ceux qui croient, non par habitude ou par peur, mais parce que j’ai expérimenté la profondeur de cette relation intérieure, cette espérance qu’on appelle Dieu.
Et pourtant – ou plutôt justement – je suis favorable à une loi sur la fin de vie dans la dignité. Une loi qui reconnaît que, dans certaines circonstances extrêmes, un être humain puisse souhaiter partir, entouré, accompagné, librement. Ce n’est pas une contradiction. Ce n’est pas un reniement. C’est une manière d’être cohérent avec ce que je crois : que la dignité humaine prime, que la conscience personnelle est sacrée, et que la compassion est un nom de Dieu.
On m’objecte : « Mais tu es catholique ! Tu ne peux pas être pour ça ! »
Ah, la belle injonction ! Comme si être catholique obligeait à penser en bloc, sans nuance, sans discernement. Comme si nous avions un abonnement moral à vie, où l’on ne pourrait jamais revisiter nos convictions à la lumière de l’expérience, de la souffrance partagée, de l’écoute des autres.
Mais la foi, ce n’est pas la soumission aveugle à un dogme. C’est un chemin. Une recherche. Une fidélité qui n’est pas l’immobilité, mais la confiance. Et sur ce chemin, il m’est arrivé – comme beaucoup d’autres – de m’arrêter au bord d’un lit d’hôpital, de serrer une main glacée, de voir la douleur devenir plus forte que tout. Et de me demander : à quoi sert cette agonie ? Qui la demande ? Qui en tire gloire ? Certainement pas Dieu.
L’Évangile n’est pas un manuel de souffrance obligatoire
Je n’ai jamais entendu Jésus dire : « Plus tu souffriras, plus tu seras saint. » Ce n’est pas ce que j’ai lu dans les Évangiles. Ce que j’ai vu, en revanche, c’est un homme qui s’approche des lépreux, qui pleure devant la mort de son ami Lazare, qui guérit, qui relève, qui console. Un homme qui a fui les discours moralisants et qui a redonné vie, symboliquement et concrètement, à des gens considérés comme perdus.
Alors oui, Jésus est passé par la croix. Mais il ne l’a jamais imposée à personne. Il n’a jamais transformé la souffrance en norme spirituelle universelle. La croix n’est pas un mode d’emploi. C’est un passage. Et c’est bien la vie qui a le dernier mot, pas la douleur.
La fin de vie aujourd’hui : solitude, silences, violences parfois
Ceux qui défendent à tout prix le statu quo parlent souvent des soins palliatifs. Et ils ont raison : les soins palliatifs sont essentiels. Ils sont porteurs d’un immense humanisme, d’un respect profond de la personne, d’un accompagnement qui honore notre humanité vulnérable. Mais encore faut-il qu’ils soient accessibles. Encore faut-il qu’ils soient financés. Encore faut-il que la formation suive, que les équipes tiennent, que l’on cesse de parler de « fin de vie digne » uniquement quand tout va bien.
La réalité, c’est que beaucoup de personnes meurent aujourd’hui dans des conditions qui ne devraient pas exister. Isolement, douleur mal soulagée, sentiment d’être un fardeau, culpabilité de rester en vie. Faut-il vraiment leur dire : « Tiens bon, souffre encore un peu, c’est plus moral comme ça » ?
La conscience morale : ce lieu où Dieu parle en silence
L’Église catholique reconnaît le rôle fondamental de la conscience personnelle. Le catéchisme lui-même l’affirme : « En tout ce qu’il dit et fait, l’homme est tenu de suivre fidèlement ce qu’il sait être juste et droit » (CEC §1778). Autrement dit : l’être humain doit écouter cette petite voix intérieure, ce discernement profond, souvent nourri de prière, de dialogue, d’expérience, d’humanité.
Eh bien, ma conscience me dit que certaines situations, exceptionnelles, appellent une réponse exceptionnelle. Que dans certains cas, autoriser une aide active à mourir, c’est un acte d’amour. Ce n’est pas la négation de la vie. C’est l’ultime reconnaissance de la personne.
La République n’est pas une Église
Et puis, il faut le dire avec clarté : cette loi, ce n’est pas un texte religieux. Ce n’est pas une catéchèse d’État. C’est un projet de société dans une République laïque. Elle ne remplace pas la foi. Elle ne l’interdit pas non plus. Elle n’oblige personne. Elle ouvre un droit. Une possibilité. Pour celles et ceux qui, après un parcours long, encadré, mûri, choisissent de partir autrement.
Ce n’est pas une menace pour ma foi. C’est un espace pour la liberté. Et je préfère cent fois une loi qui respecte les consciences qu’un système qui impose une vision unique de ce que doit être la fin de vie.
Mourir dans la foi, dans la paix… et parfois avec humour
Si un jour je me retrouve confronté à cette question, je ne sais pas ce que je choisirai. Mais je veux pouvoir choisir. Entouré. Écouté. Accompagné. Et si possible avec un peu d’humour : une blague mal placée, un dernier mot de travers, un sourire à celles et ceux qui resteront.
Je veux pouvoir prier. Je veux pouvoir être béni. Je veux pouvoir dire au revoir sans que personne ne me fasse une leçon de morale sur le sens du sacrifice. Parce que ce moment-là – le dernier – mérite plus de tendresse que de doctrine.
Alors oui, je suis catholique. Et je suis pour cette loi.
Je ne renie rien. Je ne dilue rien. Je crois toujours en la résurrection. Je crois que la vie est sacrée. Mais je crois aussi que la souffrance n’est pas une condition obligatoire pour être aimé de Dieu. Je crois qu’un geste d’aide peut être un geste d’amour. Et je crois que respecter la décision d’un frère, d’une sœur, c’est parfois la plus belle prière que l’on puisse faire.
Je n’impose cette loi à personne. Je ne veux convertir personne à mon point de vue. Mais je refuse que l’on m’enferme dans un dogme de fer au nom d’une foi que je vis avec cœur, avec intelligence et avec humanité.
En guise de bénédiction laïque
Peut-être qu’un jour, je me retrouverai face au Bon Dieu, un peu gêné, un peu inquiet. Et j’ose espérer qu’il me dira :
« Tu n’as pas toujours eu raison, mais tu as essayé d’aimer. Même quand c’était compliqué. »
Et franchement, ce serait déjà pas mal.
