Lettre ouverte à Monseigneur de Moulins-Beaufort : je suis catholique, je crois en Dieu… et je vous conteste.

Un catholique pratiquant vous répond.
Monseigneur,
Je suis catholique. Je prie. Je vais à la messe. Je me nourris de la Parole de Dieu, des sacrements, de l’Église, même si, comme beaucoup de fidèles, je ne me reconnais pas toujours dans ses prises de position publiques. Et pourtant – ou peut-être justement pour cela – je soutiens une loi sur la fin de vie dans la dignité. Non pas malgré ma foi, mais parce qu’elle m’y engage.
Depuis plusieurs mois, vous vous exprimez fermement contre ce projet de loi. Vous avez déclaré à plusieurs reprises que « donner la mort n’est jamais un soin », que « l’homme ne s’appartient pas », que « la société doit tenir la main, pas provoquer la mort » (France Inter, 6 avril 2024). Vous avez co-signé une tribune interreligieuse dans Le Monde avec d’autres responsables religieux affirmant que la loi « autoriserait un tel geste irréparable » (Le Monde, 12 avril 2024). Mais, Monseigneur, vous ne parlez pas en mon nom. Et vous ne parlez pas au nom de tous les catholiques.
La loi actuellement discutée au Parlement est le fruit d’un processus démocratique solide, né des conclusions de la Convention citoyenne sur la fin de vie, réunie sous l’égide du Conseil économique, social et environnemental entre décembre 2022 et mars 2023. Parmi les 184 citoyens tirés au sort, 76 % se sont exprimés en faveur de la légalisation de l’aide à mourir (CESE, rapport final, mars 2023). Le projet de loi du gouvernement, présenté début 2025, ne banalise pas la mort, mais encadre une possibilité. Il prévoit une procédure rigoureuse : décision volontaire, maladie grave et incurable, souffrances réfractaires, accompagnement pluridisciplinaire, clause de conscience pour les professionnels de santé. Il ne remplace pas les soins palliatifs : il prévoit leur renforcement massif via un plan national.
Selon un sondage IFOP pour La Croix et France Inter, publié en mars 2024, 72 % des Français y sont favorables, dont 62 % des catholiques pratiquants réguliers (IFOP, mars 2024). Cela montre une Église de terrain qui pense, prie, discerne, parfois autrement que ses représentants hiérarchiques.
Et c’est précisément en tant que catholique que je soutiens ce texte.
Car je crois en un Dieu de compassion, pas en un Dieu qui exige la souffrance. Le Christ n’a jamais transformé la douleur en exigence spirituelle. Il a guéri les malades, relevé les paralytiques, pleuré devant la mort de son ami Lazare (Jn 11,35). Il a offert la consolation et non l’endurcissement. Il n’a jamais exigé l’agonie comme offrande. Où, Monseigneur, dans les Évangiles, Jésus appelle-t-il à prolonger la douleur au nom de la vie sacrée ?
Je crois aussi en la liberté de conscience. Et pas n’importe laquelle : celle que reconnaît notre propre Église. Le Catéchisme de l’Église catholique affirme que « la conscience est le sanctuaire de l’homme, où il est seul avec Dieu, dont la voix fait entendre ses appels » (CEC §1776). Loin d’être un refuge de subjectivisme, c’est un lieu de vérité. Et certains, dans des situations limites, peuvent discerner, dans la prière et l’accompagnement, que demander une aide à mourir est un acte d’humilité, de fidélité, d’amour. Pourquoi les exclure ? Pourquoi les juger ?
Vous invoquez les soins palliatifs comme alternative suffisante. Mais selon le rapport IGAS de juillet 2023, seuls 20 % des personnes en fin de vie accèdent à une unité spécialisée. Les inégalités territoriales sont criantes. Le personnel est sous-formé. Les familles épuisées. Le système, admirable dans ses principes, est inaccessible dans les faits (IGAS, Rapport 2023-050R). Dans ces zones d’abandon, refuser une autre voie, c’est imposer la souffrance au nom d’un idéal abstrait.
Je n’écris pas depuis une position théorique. J’ai accompagné. J’ai entendu : « je veux que ça s’arrête. » J’ai vu des corps prolongés artificiellement, des proches rongés par la culpabilité. Et je ne veux plus avoir à dire : « on n’a pas le droit ». Je veux pouvoir dire : « nous t’écoutons. Nous te croyons. Nous t’aimons. » Et si c’est ton vœu, alors va en paix.
Vous affirmez que « l’homme ne s’appartient pas ». Mais moi je crois qu’il appartient à Dieu – et que Dieu, justement, ne veut pas qu’on meure dans la terreur ou dans la douleur. Il veut qu’on meure accompagné, écouté, consolé. Ce n’est pas la loi de Dieu que je défends ici : c’est la grâce pour ceux qui restent et l’humanité pour ceux qui partent.
Je ne vous demande pas, Monseigneur, de renier vos convictions. Mais je vous demande d’accepter la pluralité des consciences. De faire une place, dans l’Église, à ceux qui vivent leur foi autrement que dans le refus. Je vous demande de ne pas condamner les familles qui feront ce choix avec amour. Je vous demande de ne pas figer l’Évangile dans un interdit, alors qu’il est avant tout un appel à aimer jusqu’au bout.
Quand mon heure viendra, je veux pouvoir mourir dans la paix. Entouré. Libéré. Peut-être que je n’aurai pas besoin d’aide. Mais si je la demandais, je voudrais qu’on me bénisse. Qu’on ne me ferme pas la porte du Ciel parce que j’ai souhaité partir dans la tendresse.
Et si Dieu me demande pourquoi j’ai soutenu cette loi, je lui dirai simplement :
« Parce que j’ai aimé. Parce que j’ai écouté ceux qui n’en pouvaient plus. Parce que je n’ai pas voulu imposer ma foi comme une violence. »
Et j’ose croire qu’il me dira, Lui :
« Tu as bien fait, mon fils. »
Tu ne seras pas seul. Jusqu’au bout.

