📸 Ce corps-là , c’est le mien
Tout a commencé par une douleur immense. Une douleur qui ne vous laisse aucun répit, qui prend toute la place, jusqu’à faire oublier le reste. Cette douleur s’est transformée en urgence vitale. Le corps sonnait l’alarme, et il fallait agir. Les examens se sont enchaînés. Les diagnostics sont tombés, techniques, brutaux, inévitables.
Pendant plusieurs mois, j’ai vécu avec une poche. Une parenthèse nécessaire, mais violente. Le corps n’était plus le même. L’image de soi vacillait. Il fallait réapprendre chaque geste, chaque regard. Composer avec les contraintes, les maladresses, le silence souvent gêné des autres — et le mien.
Puis est venue une autre étape : la caecostomie. Non pas une opération de plus, mais une alternative à la poche. Une solution plus stable, plus discrète, mais aussi pleine d’inconnues. Ce n’est pas une libération totale, c’est un compromis. Un chemin. Aujourd’hui, je vis avec la caecostomie. Je l’apprivoise, un jour après l’autre. Il y a des hauts, des bas, des découragements et des victoires minuscules. Mais j’avance. Ce corps-là , avec ses adaptations et ses révoltes, c’est le mien.
J’ai eu la chance d’être entouré. Par des soignants qui ont vu l’humain avant le symptôme. Une médecin gastro-entérologue d’une écoute rare. Une chirurgienne réparatrice qui, au-delà des gestes, a su poser des mots. Et puis, un jour, il y a eu Hervé.
Hervé, c’est une rencontre inattendue, presque providentielle. Lui aussi portait des blessures. Il m’a regardé sans détour et m’a dit :
« Tu ne peux pas toujours serrer le poing. Il faut bien que ça devienne une main tendue, à un moment. »
Cette phrase, je ne l’ai jamais oubliée. Elle a ouvert une brèche. Celle de l’acceptation.
Longtemps, j’ai cru qu’il fallait cacher cette partie de moi qui faisait sa rebelle. Comme on dissimule une tache de café avant un rendez-vous important… sauf que là , la tache, c’était sur moi. Et je pensais qu’elle disqualifiait tout le reste — mes engagements, ma parole publique, mon apparence. Alors j’ai souri. J’ai fait comme si. J’ai porté une joie de vivre en vitrine, même quand, à l’intérieur, c’était blackout général.
Et puis, un jour, une idée a germé. Doucement. Comme un pissenlit entre deux pavés. L’idée de ne plus me planquer, de montrer ce corps changé, sans bruit ni drame. Ce corps marqué, mais vivant. Présent. Têtu.
Avant de le montrer, il fallait d’abord que je l’écrive. Que je couche cette histoire sur le papier. Que je mette des mots sur les maux. C’est ce que j’ai fait, avec lenteur, avec pudeur, avec honnêteté. Ce manuscrit, je l’ai porté comme on porte une nécessité.
Il paraîtra en novembre prochain.
Il ne raconte pas seulement une épreuve médicale. Il parle de foi, de colère, de chute et de résilience. De chair, d’humanité, et de lumière. J’espère qu’il sera utile. Utile à celles et ceux qui vivent une transformation imposée, qui se battent contre l’invisible, ou contre eux-mêmes. Si une seule personne s’y reconnaît et se sent moins seule, alors j’aurai été utile. Et franchement, être utile, c’est plus fort que d’être décoré.
C’est dans ce même élan qu’est né ce projet de photo-thérapie. Une idée longtemps refoulée, tant elle me paraissait vertigineuse : poser devant un objectif ce corps modifié, et ne pas le fuir. L’accepter. Le regarder avec tendresse. Le montrer avec pudeur.
Et c’est là que Maud Weber entre en scène. Photographe, photo-thérapeute, mais surtout — tisseuse de confiance, alchimiste du regard. Elle a su créer un espace rare. De ceux où l’on peut se déposer sans masque, sans mise en scène, sans peur. Elle a été là , présente, douce, drôle, professionnelle, profondément humaine.
Le jour où j’ai été prêt, elle l’était aussi. Alors on a fait les photos. Et dans le miroir, ce jour-là , je n’ai pas vu une défaite.
J’ai vu un ventre gonflé d’épreuves, comme un monde en gestation, traversé de cicatrices qui racontent une guerre silencieuse.
Et j’ai compris que ces traces étaient miennes. Qu’elles faisaient partie du récit. Qu’il était temps d’arrêter de les nier.
Cette séance n’était pas un acte esthétique. C’était un acte de vérité. De réconciliation. Un acte politique, presque. Le poing serré est devenu main tendue. Vers les autres. Vers moi-même.
Je ne sais pas ce que les autres y verront.
Mais moi, je sais ce que j’y ai mis : un peu de peur, beaucoup de pudeur, une sacrée dose de courage, et une promesse.
La promesse de ne plus jamais me cacher.
À celles et ceux qui vivent aussi avec un corps cabossé, transformé, en guerre ou en paix : je vous vois. Je vous respecte. Vous n’êtes pas seuls.
Et à Maud, à Hervé, à mes médecins, à la vie même…
Simplement : merci. đź’›

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Photos Maud Weber @posersoimaime
https://maud-weber.com/photo-therapie/photographie-therapeutique-pour-ameliorer-lestime-de-soi/











