Avec mon pince-nez et mon PowerPoint, vers l’infini (et la charte)
Jeudi, 7h50. Le train quitte Angers dans une légère brume et un grand soupir intérieur. Direction Paris et le CNLE. À bord, des gens pressés, des laptops déjà en surchauffe, et moi quelque part entre l’enthousiasme sincère et l’envie de me cacher sous la tablette SNCF.
Sac à dos en bandoulière, café brûlant en main, pince-nez dans la poche intérieure de la veste (on ne plaisante plus avec ça), je révise mes fiches une dernière fois. Aujourd’hui, double dose : commission Évaluation le matin (promis, je resterai éveillé, Jean-Claude et Magloire) et, surtout, séance plénière du fameux GT Participation II l’après-midi. Oui, celui que je co-préside avec un mélange de conviction, d’espoir… et d’autodérision bien ancrée.
Retour vers le passé – épisode 27 mars, 14h02.
Salle de réunion. Chaises en cercle. Café tiède (c’est une constante). Ma co-présidente absente. Et moi, un peu trop souriant pour la suite des événements. On m’avait promis une séance collaborative, bienveillante, structurante. Résultat : deux heures d’apnée mentale. Niveau compétition olympique. Jean Reno, sors de ce corps.
Au programme : bâtir ensemble les fondations d’une charte interne. Rien de bien méchant. Un petit texte pour dire « on se respecte », « on s’écoute », « on ne se jette pas les stylos au visage ». Sauf qu’étonnamment, le mot « charte » a provoqué plus de crispations que « réforme de l’ENA ».
Certains y ont vu une tentative d’encadrement autoritaire, d’autres un retour sournois à l’ordre moral version administration. Moi, j’y voyais juste une manière d’éviter que les réunions se transforment en concours de monologues simultanés. Mais bon, chacun sa paranoïa participative.
Bref, me voilà à nouveau dans le train, jeudi 7h50, avec un PowerPoint et un pince-nez dans le sac.
Cette fois, ma co-présidente sera là. Du moins, c’est ce que la prophétie de l’ordre du jour annonce. J’espère donc une séance plus sereine, où je n’aurai pas à improviser une gestion de crise institutionnelle entre deux débats sur la transparence.
On revient sur cette charte. Oui, encore elle. On l’a revue, corrigée, adoucie. Plus inclusive qu’une réunion de voisins autour d’un barbecue. J’ai même relu chaque mot en me demandant : « Est-ce que cette virgule pourrait être perçue comme autoritaire ? » C’est dire le niveau de précaution.
Et pourtant, je sens bien que le suspense est intact. Le texte va-t-il être adopté ? Ou renvoyé en phase de digestion collective pour la troisième fois ? Ce document, je le connais mieux que mes mots de passe. Il a été relu, commenté, trituré, presque psychanalysé. À ce stade, ce n’est plus une charte, c’est un compagnon de route.
Et si on commençait à travailler sur la charte « externe » ? Parce que oui, il faut le rappeler : elle fait partie des objectifs de notre Groupe de Travail. On en parle souvent comme d’un grand projet un peu lointain, un Everest au fond du couloir. Mais maintenant qu’on a (presque) dompté la charte interne, ce serait dommage de ranger les stylos. L’élan est là, les cerveaux sont chauds, les débats bien rodés. Alors allons-y. En douceur, mais allons-y.
Ce que je redoute ?
Pas tant les critiques (ça fait partie du jeu), mais les scènes façon western : regards appuyés, silences lourds, et soudain, quelqu’un qui lâche : « Moi, je ne me reconnais pas dans cette démarche. » C’est le signal du duel. J’ai prévu des fiches. Mais pas de gilet pare-balles.
Et moi dans tout ça ?
Je persiste. Gentiment. Sans prétendre détenir la vérité. J’essaie juste de faire vivre une participation structurée, avec un peu de méthode et beaucoup de patience. Oui, ça fait parfois très « animateur scout à la retraite ».
Alors voilà. Le train roule. Il est 7h50. J’essaie de me détendre en répétant mes transitions PowerPoint dans ma tête. J’espère juste ne pas devoir ressortir le tuba. Ou l’humour comme bouclier. Quoique, ça, j’y tiens.
Et si jamais ça tourne encore au rodéo, je me dis que c’est au fond une bonne nouvelle : ça veut dire que la participation, elle vit. Elle râle, elle grince, elle débat – parfois trop fort. Mais elle existe. Et c’est déjà pas mal.
