Bientôt la pauvreté durable ? Merci le décret sanctions !
Franchement, je ne pensais pas que ça arriverait un jour : voir mon nom cité dans Libération. Moi qui rêvais d’une carrière discrète, faite de notes en bas de page et de recommandations polies, me voilà propulsé malgré moi dans le grand bain médiatique.
Rassurez-vous : je n’ai pas encore renié mes engagements humanistes pour aller prêcher sur les places publiques le grand amour du contrôle social. Mais sait-on jamais : à force de côtoyer les hautes sphères, j’aurais peut-être bientôt droit à ma carte de fidélité « Gauchiste patenté », avec dix alertes sociales achetées, la onzième offerte.
Pendant ce temps-là, dans le vrai monde, celui où les chiffres ont des dents, aujourd’hui, au CNLE, on nous a servi en grande pompe le tout nouveau décret « sanctions ». Une petite pépite issue de la grande saga de la loi Travail, ce monument législatif qui avait fait de la flexibilité le nouveau Graal, et de la précarité une forme de développement durable.
Alors, que prévoit ce chef-d’œuvre de politique publique ?
Très simple : si vous êtes allocataire du RSA – ce privilège inouï qui vous permet de vivre royalement avec 650 € par mois – on vous demande désormais de faire preuve d’une rigueur militaire. Vous devez être ponctuel, disponible, employable, souriant, mobile, et si possible reconnaissant.
Dans le cas contraire, si par malheur vous manquez un rendez-vous, refusez une offre déraisonnable ou vous trompez dans un formulaire aussi clair qu’une énigme de Kafka, vous risquez une réduction de 30 % à 100 % de votre allocation.
Oui, vous avez bien lu : 100 %. Parce qu’après tout, pourquoi se contenter de rendre les pauvres plus pauvres quand on peut les rendre invisibles ?
C’est ce qu’on appelle la rationalisation de la misère.
À défaut d’éradiquer la pauvreté, on l’ampute, on la rogne, on la maquille. Les ayants droit deviennent les coupables. Le problème n’est plus que les gens soient pauvres, mais qu’ils soient mal organisés dans leur pauvreté.
Libération a très bien résumé l’enjeu dans son article du 28 avril :
Le CNLE, ce petit cercle d’irréductibles qui s’obstinent à croire que la dignité humaine n’est pas négociable, avait déjà publié un avis le 18 mars pour alerter sur « les risques d’exclusion sociale » liés à cette réforme, demandant un moratoire et l’instauration d’un revenu plancher.
Et nous revoilà donc, ce 28 avril, réunis à nouveau pour examiner ce décret. Sans grande surprise, le constat est toujours le même, et je n’ai pu que répéter, avec toute la lassitude militante qu’on peut mettre dans une déclaration publique :
« Il n’est pas possible d’accepter un tel décret, qui ne va que rajouter de la pauvreté à la pauvreté. On va priver des gens qui ne peuvent déjà pas manger d’au moins 30 % de leurs 650 euros, voire de la totalité ! C’est certain que le nombre d’allocataires va baisser, le taux de non-recours sera incroyable. »
Petite explication de texte pour les non-initiés :
– Moins d’allocataires visibles = moins de pauvreté mesurée.
– Moins de pauvreté mesurée = victoire politique.
– Victoire politique = satisfaction médiatique.
– Satisfaction médiatique = campagne électorale réussie.
C’est l’économie du chiffre avant celle de la dignité.
C’est la grande illusion : résoudre la pauvreté en supprimant les pauvres des radars statistiques.
Ne dites plus radiation, dites « parcours vers l’autonomie accéléré ».
Ne dites plus sanction**, dites « accompagnement intensif vers l’invisibilité ».
Et surtout, restons positifs.
Si tout se passe comme prévu, d’ici quelques mois, de brillantes startups de l’économie sociale et solidaire proposeront des kits de survie pour allocataires sanctionnés : une gourde écoresponsable, une tente Quechua (pliante pour faciliter les contrôles d’espace public), et une carte interactive des soupes populaires, avec QR code pour géolocaliser votre dîner.
Peut-être même qu’au sommet de cette audace sociale, le ministre du Travail en personne remettra les médailles d’honneur aux finalistes de la nouvelle discipline olympique : « Vivre avec 0 € par mois », reine incontestée des prochains Jeux Olympiques de l’Inclusion.
Une épreuve exigeante, entre marathon et apnée sociale, qui révélera les nouveaux héros de la France moderne.
Après tout, ceux qui survivent méritent bien un podium.
