Un carême, un canapé, l’Esprit-Saint, Pèlerins d’Espérance… et Dieu dans tout ça ?
On est en plein carême. Ce temps un peu à contre-courant du reste de l’année, où on nous invite à faire moins, pour vivre mieux. À manger moins, consommer moins, parler moins… pour entendre davantage.
Et cette année, ce n’est pas n’importe quel carême : le pape François nous invite à vivre une année jubilaire autour du thème « Pèlerins d’espérance ». Rien que ça. En bon pèlerin moderne, j’ai parfois l’impression de marcher avec des tongs trouées sur un chemin en pente raide, le tout sans GPS. Et pourtant, on avance. Tant bien que mal. Vers Pâques. Vers la lumière. Vers quelque chose de plus grand.
Mais sur ce chemin, une question me trotte dans la tête. Elle revient souvent. Comme un refrain.
Et Dieu, dans tout ça ?
Quand je m’agite dans tous les sens
Je me donne à fond dans mes engagements. Je cours entre deux réunions, je relance des mails, je monte des projets comme les « Dimanches d’accueil » ou « les soirées thématiques » du service Diaconie de notre paroisse pour que l’Église soit un peu moins froide que les murs de nos sacristies en hiver.
Et souvent, avant une de ces initiatives, je fais une petite prière, style rapide :
« Viens Esprit-Saint, souffle un peu sur mon PowerPoint. »
Et puis je file. Parce qu’il y a toujours quelque chose à faire.
Mais le soir, allongé sur le canapé, le cerveau en compote et les jambes aussi efficaces que du pain rassis, la question revient :
« Et Dieu, dans ma journée ? »
Est-ce que je L’ai laissé agir ? Ou est-ce que j’ai tout fait tout seul, en mode super-héros qui veut sauver l’Église… mais oublie de prier ?
Et Dieu dans tout ça… quand je bosse en com’ paroissiale ?
Franchement Seigneur, tu l’as vu le temps que je passe sur Canva à chercher une police lisible et « un peu priante », à calibrer une vidéo de la veillée de prière pour qu’elle ne dépasse pas 59 secondes (merci Instagram), à publier l’annonce du prochain bol de riz avec une image de rameau sans que ça fasse trop clip de com’ politique ?
Et Dieu dans tout ça ? Il est dans le flyer qui finit (dans le meilleur des cas) dans le bac jaune ? Dans le visuel que Facebook va enterrer parce que l’algorithme préfère les vidéos de chats ?
Je l’espère. Parce que parfois, j’ai l’impression d’évangéliser avec un clavier et des filtres. Et pourtant, je me dis que si un cœur est touché, si un paroissien découvre la veillée parce qu’il a vu mon post au scroll 342 de sa journée, alors peut-être que l’Esprit-Saint utilise aussi les réseaux sociaux. Et que la bonne nouvelle peut passer… même entre deux reels.
Quand je me bats contre l’exclusion
Mon engagement au CNLE (Conseil national des politiques de lutte contre l’exclusion) me prend du temps, de l’énergie, des neurones, et parfois même un peu de foi.
Parce que, soyons clairs : quand tu veux faire avancer des politiques publiques pour celles et ceux qu’on préfère ne pas voir – les invisibles, les sans-abris, les galériens de la vie – tu te prends des murs. Et parfois des murs avec des guirlandes de bonnes intentions. C’est plus joli, mais ça fait aussi mal.
Et là, je me demande :
Dieu, est-ce que tu es là, dans ces combats-là ?
Est-ce que tu m’envoies pour servir ? Ou est-ce juste moi qui m’agite avec mes belles idées ?
Et je repense à cette phrase de l’évangile que j’ai entendu mille fois, mais qui me bouscule toujours :
« Ce que vous avez fait au plus petit d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Mt 25, 40)
Alors oui, peut-être que Dieu est là. Pas dans les grandes réformes miraculeuses, mais dans la patience que j’ai eue face à un agent du ministère, dans le regard d’un sans-abri à qui j’ai pris le temps de parler.
Dieu dans l’infime. Dieu dans l’insignifiant. Dieu dans la persévérance.
Quand je regarde mon couple
C’est beau, l’amour. Mais c’est aussi exigeant. C’est fait de hauts, de bas, de compromis, de fatigue, de tendresse, de ronflements et de vaisselle pas faite.
Et parfois je me demande :
Quelle place Dieu a-t-Il dans mon couple ?
Est-ce que l’Esprit-Saint s’invite à table ? Ou est-ce qu’on a laissé Dieu au vestiaire, comme un invité gênant ?
Il y a cette envie que notre amour soit porté, traversé, sanctifié même. Mais il y a aussi le quotidien, qui te happe. Et là encore, je me dis :
Et Dieu dans tout ça ?
Dans notre manière de nous écouter, de nous pardonner, de nous soutenir… Est-ce qu’on Lui laisse la place d’être le ciment de notre maison ? Ou juste un petit bibelot sur une étagère ?
Quand je parle avec les autres
Il y a aussi toutes ces discussions du quotidien. Dans la rue. À l’église. En famille.
Des échanges banals ou profonds. Des débats animés ou des silences partagés.
Et je me surprends à me demander :
Est-ce que Dieu est là dans mes mots ?
Pas pour faire de chaque phrase une homélie de quinze minutes, non. Mais pour que mes paroles soient justes, vraies, porteuses de paix. Est-ce que je parle comme un homme habité par l’Évangile ? Ou est-ce que je parle comme tout le monde, en me contentant d’avoir raison ?
Quand la perte frappe
Et puis il y a ces moments plus sombres. Ceux où la vie bascule.
Un proche qu’on aime s’en va. Parfois sans prévenir. Parfois après une longue bataille.
Et là, la question devient crie :
Pourquoi, Seigneur ?
Pourquoi elle ? Pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ?
Même en croyant de tout mon cœur, je vacille. Parce que je ne comprends pas. Parce que j’ai mal. Parce que j’ai encore besoin d’eux ici. Et que Toi, là-haut, tu as déjà assez d’anges, non ?
Je sais que « les voies de Dieu ne sont pas nos voies » (Is 55,8)… Mais parfois, Seigneur, je t’en veux. Parce que tu me laisses avec l’absence, les photos, les souvenirs, et une immense tendresse qui n’a plus où se poser.
Quand mon corps ne suit plus
Il y a eu aussi ces moments où mon corps m’a lâché.
Ces jours où chaque geste est une épreuve. Où se lever devient une victoire. Où la douleur te rappelle que tu es vivant, mais à quel prix.
Et je me suis demandé :
Est-ce que c’est ça que tu veux pour moi ?
Est-ce que c’est une épreuve ? Une mission spéciale ? Un test de résistance céleste ?
Franchement, Seigneur, j’aurais préféré autre chose. Un jeûne peut-être. Ou même une retraite au fond des bois. Mais pas ça.
Et pourtant… au milieu de cette fatigue, parfois, je sens ta présence. Fragile. Discrète. Mais là.
Comme si tu me disais :
« Je suis avec toi. Même là. Surtout là. »
Et jusqu’au bout…
Je crois que jusqu’à mon dernier souffle, cette question ne me quittera pas :
« Et Dieu dans tout ça ? »
Et peut-être que c’est ça, être pèlerin d’espérance.
C’est ne pas avoir toutes les réponses, mais continuer la route.
C’est croire qu’Il est là, même dans le silence.
C’est L’aimer, même quand on ne comprend pas.
C’est Le chercher, surtout quand on ne Le sent plus.
En cette fin de carême…
Je ne vous souhaite pas forcément de trouver toutes les réponses.
Mais je vous souhaite d’oser poser la question.
Avec foi.
Avec doutes.
Avec tendresse.
Avec humour, parfois.
Et Dieu dans tout ça ?
Il est là.
À travers vous.
À travers moi.
À travers nous.

