Fin de Carême : conscience légère, chocolat noir et petites fatigues solidaires
par Xavier BAUMIER · Publié · Mis à jour
Le Carême s’achève. Et avec lui, cette impression confuse d’avoir « fait quelque chose ».
Les cloches ont sonné, les chocolats passerons, les agneaux aussi – ceux en pâte d’amande comme ceux du four du dimanche.
L’Église a sorti ses plus beaux habits, les prêtres ont retrouvé leurs homélies de la Résurrection, et nous, fidèles, avons bien chanté. Oui, Jésus est ressuscité. Alléluia.
Mais… et nous ?
Qu’avons-nous fait ?
C’était censé être un temps de conversion, de recentrage, de partage.
Un temps pour donner. Pour rencontrer. Pour s’ouvrir à l’autre.
Un temps, aussi, pour interroger sa conscience – mais pas façon examen du code de la route.
Alors… qu’avons-nous fait ?
Oui, soyons justes : certains ont donné. À des associations. À des mouvements. Un petit virement, un don Paypal, une collecte sur Facebook.
D’autres ont vidé un placard et porté un sac de vêtements à la Croix-Rouge.
Bravo. Sincèrement.
Ce n’est pas rien. Mais ce n’est pas tout.
Parce que pendant qu’on se félicitait d’avoir donné trois paquets de riz et un pull moche du placard,
la mère « monoparentale » (comme on dit pudiquement) en était déjà à recalculer son budget pour tenir jusqu’au 12.
Pas le 31, non. Le 12.
Car au-delà, il n’y a plus rien. Rien à manger. Rien pour les enfants. Rien pour le ticket de bus.
Des associations comme Claire Amitié (soutenue par la Fondation de l’Ordre de Malte) accompagnent ces femmes seules avec enfants pour les aider à retrouver emploi, logement et dignité.
La plateforme Parent-solo.fr centralise conseils, forums et adresses utiles pour rompre l’isolement des familles monoparentales. Ces structures font un travail que nous ne voyons pas toujours. Et nous, que faisons-nous ?
« 17h, tout le monde rentre »
Et ce dimanche, tu t’en souviens ?
À la paroisse, on avait organisé un bel accueil pour des migrants, des sans-abris.
Une belle initiative, vraiment.
On a cuisiné, on a partagé un repas chaud, on a ri, on a joué avec les enfants. Il y avait la fraternité, des regards qui brillent.
Et puis… il était 17h.
Et là, comme Cendrillon à minuit, tout le monde est rentré chez soi.
Chez soi. Là où il y a de l’eau chaude, du Wi-Fi, un canapé moelleux, un frigo rempli et une boîte de chocolat pascal qui nous attend.
Eux ?
Ils sont repartis dans la rue. Dans des foyers saturés. Des hôtels miteux. Des nulle part.
Des associations comme Utopia 56 proposent un hébergement citoyen d’urgence, en sollicitant ceux qui ont une chambre en trop pour offrir un abri pour une nuit ou plus.
France Terre d’Asile accompagne les personnes migrantes dans leurs démarches, les protège, leur offre une orientation juridique et sociale. Ces structures existent. Elles agissent. Et nous ?
Des distributions qui nourrissent… la bonne conscience
Et dans nos distributions alimentaires ?
On prépare des paniers, on sourit, on échange un mot gentil. On est dans le don, dans le service.
Mais savons-nous que ce que nous donnons est parfois tout ce que la personne mangera pour la semaine ?
Les Banques Alimentaires approvisionnent 6 000 associations et permettent de distribuer l’équivalent de 226 millions de repas par an.
Les Restos du Cœur ont servi plus de 170 millions de repas en 2023, avec une attention particulière aux familles.
La Tente des Glaneurs distribue gratuitement les invendus des marchés à ceux qui n’ont rien.
Delivr’aide livre des colis de première nécessité aux étudiants précaires, souvent invisibles.
Ces structures font un travail vital. Mais elles ne devraient pas être seules à porter ce fardeau. Alors nous, que faisons-nous, entre deux distributions ?
Et nous, les « pros » ?
Et puis il y a nous, les autres.
Les responsables de mouvements, d’associations, d’aumôneries, de groupes d’entraide.
Les professionnels de la solidarité, les spécialistes de la participation, les experts du « aller vers ».
Nous qui parlons de co-construction, de vivre-ensemble, de « parole des premiers concernés ».
Nous, que faisons-nous le mardi après Pâques ?
Quand les cloches se sonnent, que les agapes sont digérées, que les réunions reprennent.
Reprenons-nous nos vies bien rangées ?
Nos plannings bien structurés, nos CR de réunions, nos visio Teams, nos phrases toutes faites ?
Nos élans de générosité bien balisés, qui laissent surtout la pauvreté à la porte de nos agendas ?
Et si au lieu de parler d’inclusion, on partageait vraiment notre espace ? Notre réseau ? Notre quotidien ?
Ressusciter, ce n’est pas « sentir quelque chose », c’est faire un pas
Comment faisons-nous pour alléger nos consciences à quelques heures de la Résurrection du Christ ?
Comment faisons-nous pour nous proclamer disciples, engagés, croyants, et parfois même militants…
tout en restant aussi indifférents à la pauvreté réelle, concrète, quotidienne, brutale ?
Accueillir l’autre, ce n’est pas l’inviter deux heures autour d’une table bienveillante.
C’est lui faire une place dans notre quotidien. Dans nos priorités. Dans nos certitudes.
Et même, osons-le : dans nos maisons.
Accueillir l’autre, c’est laisser sa vie bousculer la nôtre.
Alors oui, Jésus est ressuscité.
Mais la vraie question est là :
Et nous ?
Ressuscitons-nous aussi ? Ou restons-nous tranquillement dans notre tombeau de bonne conscience et de confort ?

