Comme chaque hiver : surprise ! Il fait froid… et les plus fragiles trinquent
Comme tous les ans, l’hiver arrive. Et comme tous les ans, les médias découvrent, ébahis, que — incroyable scoop — il fait froid. On dirait un pays atteint d’amnésie saisonnière : chaque année, nos cerveaux semblent appuyer sur « reset ». Les reportages s’enchaînent : « Chute du thermomètre ! », « Froid glacial attendu ! ». Merci, vraiment… sans vous, personne n’aurait deviné que décembre puisse être un mois frisquet.
Ce qui me fait nettement moins sourire, c’est que derrière cette découverte répétée, ce sont toujours les mêmes qui en paient la facture : les sans-abri, les ménages pauvres, les familles qui n’ont pas les moyens de chauffer un logement mal isolé, et toutes celles et ceux pour qui le froid n’est pas une ambiance d’hiver… mais une violence quotidienne.
L’Observatoire national de la précarité énergétique estimait déjà que 14 % des ménages souffraient du froid dans leur logement en 2019-2020. Un an plus tard, en pleine crise énergétique, on montait à 20 %. Un Français sur cinq grelottait donc chez lui. Comme quoi, avoir un toit ne garantit rien : parfois, un logement n’est qu’une glacière avec un bail.
Et pour ceux qui ont encore la possibilité de chauffer un peu, la réalité n’est guère plus rassurante : 75 % des Français disent baisser volontairement le chauffage pour éviter des factures trop lourdes. C’est beau, une transition énergétique subie faute de mieux.
Pendant ce temps-là, les personnes sans logement affrontent l’hiver de plein fouet. Entre 2012 et 2020, près de 5 000 décès de personnes sans domicile ont été recensés, dont 26 % en hiver. Non, le froid seul ne tue pas : c’est la combinaison du froid, de la rue, de l’épuisement, de l’absence de soins et de l’indifférence générale. Avant même les premières gelées, 9 000 personnes sollicitaient une place auprès du SAMU social… et n’en obtenaient aucune. Si ça, ce n’est pas un signal d’alarme, je ne sais pas ce qu’il faut.
Et puis il y a les maladies qui s’ajoutent : infections respiratoires, engelures, hypothermies, aggravations de pathologies chroniques… La rue ne pardonne rien. Le froid encore moins.
Avoir froid chez soi n’est pas un simple inconfort. C’est un marqueur social. Un quart des Français vivent dans des logements mal isolés. Nombreux sont ceux qui doivent choisir entre manger, se chauffer ou… se débrouiller sans. Ce qu’on appelle pudiquement « précarité énergétique » est en réalité une atteinte à la santé : baisse des défenses immunitaires, troubles du sommeil, stress, fatigue permanente. Le froid, ce n’est pas une température : c’est une usure.
Chaque hiver nous rappelle donc notre hypocrisie collective : on s’inquiète pendant deux semaines quand la météo baisse sous zéro, puis on oublie, jusqu’au prochain reportage sur « le grand froid ». Pendant ce temps, des milliers de personnes vivent — ou survivent — dans des conditions que nous n’accepterions pas une seule nuit.
Alors oui, il fait froid. Merci pour l’info.
Mais ce qui devrait nous secouer, c’est plutôt ceci : tant qu’on continuera à vivre l’hiver comme une surprise et la précarité comme une fatalité, rien ne changera. Il faudrait cesser de s’étonner, et commencer à agir sérieusement : plus de places d’hébergement, un véritable plan contre la précarité
