Je suis BAUMIER, donc je suis !
Chronique d’un accouchement administratif à 41 ans
Le 3 janvier 2025, j’ai commis un acte grave. Un truc pas très catholique (ou très républicain, selon le point de vue) : j’ai demandé à changer de nom de famille. Rien que ça. COCHARD ? Terminé. Fin de la blague. Rideau.
J’ai donc pénétré dans la mairie centrale avec la solennité d’un type qui sait qu’il va faire basculer sa vie, ou au moins ses papiers d’identité. La loi du 2 mars 2022 (merci la modernité) me le permet désormais : tout citoyen majeur peut, une fois dans sa vie, changer de nom par simple déclaration. Simple, dit la loi. Simplifiée, disent les formulaires. On sent que personne dans l’administration n’a jamais tenté de se rebaptiser. Spoiler : il n’y a rien de simple à devenir soi-même.
Je remplis donc mon petit formulaire, tout heureux. Je coche la case « je souhaite porter le nom de ma mère ». On me parle d’un « délai de rétractation » – un mois de méditation imposé par le législateur, pour être sûr que je ne fais pas ça sur un coup de tête, entre deux épisodes de série ou une gueule de bois du 1er janvier. C’est mignon cette idée qu’on change de nom comme on se fait une permanente.
Le 18 mars, me revoilà à la mairie, déterminé comme jamais. J’ai eu un mois pour douter, mais moi, je suis du genre à mûrir mes décisions comme un bon vin de Bourgogne : lentement, mais sûrement. Je signe. On me tend un papier. C’est fait. Et là, on me dit que je vais recevoir la copie intégrale de mon acte de naissance. Celle qui me dira, noir sur blanc, que je ne suis plus un COCHARD. Que la République a enfin accepté ce que je savais depuis toujours : je suis un BAUMIER.
Hier, je reçois donc le précieux sésame. En ouvrant ma boîte aux lettres, j’ai failli entonner la Marseillaise – ou allumer un cierge, selon l’humeur. Le document est là, tout beau, tout propre. COCHARD a disparu. BAUMIER trône fièrement. Victoire.
Enfin… victoire provisoire. Car c’est maintenant que commence la Grande Traversée du Désert Administratif. Refaire tous mes papiers : carte d’identité, passeport, sécurité sociale, permis, carte de bibliothèque, abonnement Netflix (ne riez pas, c’est important). Prévenir les impôts, les mutuelles, la banque, le fournisseur d’électricité, les collègues, les amis, les ennemis (au cas où). J’ai le sentiment d’avoir appuyé sur le bouton « reset » de ma propre vie. Sauf que ce bouton, c’est une pile de formulaires Cerfa et 8 heures d’attente cumulée au téléphone.
Mais je ne regrette rien. Je suis même fier. Parce que ce choix-là, il est politique, intime, assumé. Et je vais vous dire pourquoi.
D’abord, parce que j’ai été élevé par ma mère. Point final.
Pas un petit peu. Pas à temps partiel. Non : elle a tout fait, toute seule. Elle a été ma mère, mon père, mon garde du corps, mon GPS moral. Une femme forte, droite, debout. Elle m’a transmis bien plus qu’un nom : elle m’a donné des valeurs. La fidélité, la solidarité, le sens du collectif, le goût de l’engagement. J’ai hérité de son courage et de ses silences dignes. Elle ne m’a jamais appris à avoir peur. Juste à faire les choses bien. Et ce nom qu’elle portait, ce nom que je choisis aujourd’hui, c’est aussi une façon de lui dire : merci pour tout. Et maintenant, c’est aussi mon nom.
Ensuite, pour mes grands-parents. Mes vrais repères.
Jeanne et Pierre BAUMIER. Deux piliers. Deux grands cœurs. Ils ne m’ont jamais dit qu’ils étaient fiers de moi, mais je le voyais dans leurs gestes. Dans les tartines au goûter. Dans les « t’es rentré ? », dans les jeux de société interminables, les histoires racontées cent fois. Grâce à eux, j’ai compris ce qu’était une famille : pas une question de sang, mais de présence. De constance. De chaleur. Ce nom, c’est le leur. Et s’ils me regardent de là-haut (ou de là où ils sont), j’espère qu’ils se disent que ce que j’ai fait, ce n’est pas une trahison. C’est un hommage.
Enfin – tenez-vous bien – parce que je ne dois rien au nom que j’ai quitté.
Rien. Pas un souvenir. Pas une main tendue. Pas une protection. Zéro implication. Zéro affection. Le patronyme que j’ai porté pendant 41 ans ne m’a rien donné d’autre qu’un décalage constant entre ce que je portais et ce que j’étais. Je n’ai jamais été de cette « famille », jamais accueilli, jamais considéré. J’étais le figurant d’un film où je n’avais pas demandé le rôle.
Et j’ai tenu 41 ans. 41 ans à porter un nom comme on porte un fardeau. Ou un manteau trop grand, qui gratte et ne vous va pas. J’ai fini par dire stop. Assez de faire semblant. Assez de me cacher derrière un héritage vide.
Alors oui, j’ai fait ce que beaucoup n’osent pas faire : j’ai repris mon histoire en main. J’ai changé de nom. Pas pour effacer le passé, mais pour redonner de la cohérence à mon présent. Je suis BAUMIER. Je l’ai toujours été. Il fallait juste que l’État civil finisse par me croire.
Et pour tout vous dire, depuis que c’est officiel, je dors un peu mieux.
