Lecornu, un choix biscornu
« Dernière cartouche du macronisme »
La valse des Premiers ministres continue à l’Élysée comme dans un mauvais bal populaire. Après Barnier, après Bayrou, voici donc… Lecornu. Le troisième en moins d’un an. On n’est plus dans la stabilité, on est dans le speed-dating gouvernemental.
Le contexte est brutal : le 8 septembre 2025, le gouvernement Bayrou est renversé lors d’un vote de confiance sur un plan de rigueur de 44 milliards d’euros. Le déficit frôle le double du plafond européen et la dette tutoie les 114 % du PIB. Le Parlement explose, Bayrou tombe. Le lendemain, Macron propulse Sébastien Lecornu à Matignon. Pendant ce temps, le pays se prépare à la journée « Bloquons tout », avec 80 000 policiers déployés. Mission du nouveau Premier ministre : consulter d’abord, gouverner ensuite. La priorité absolue : trouver un budget viable avant que l’édifice ne s’écroule.
Lecornu, 39 ans, est l’archétype du survivant. Maire de Vernon à 27 ans, président du département de l’Eure à 29, il devient ministre dès 2017 et n’a plus quitté le gouvernement depuis. Secrétaire d’État à la Transition écologique, ministre des Collectivités territoriales, des Outre-mer, puis des Armées, il a cumulé les portefeuilles avec une constance rare sous Macron. Record de longévité et carnet d’adresses complet : il connaît la mécanique d’État sur le bout des doigts, sans jamais avoir cherché à s’imposer comme figure présidentielle. Bref, le soldat loyal par excellence.
Son bagage, c’est aussi la Défense. C’est lui qui a piloté la Loi de programmation militaire 2024-2030 à 413 milliards d’euros, réarmant la France sur tous les fronts : nucléaire, cyber, spatial. De quoi prouver qu’il sait tenir un cap et piloter des milliards. Mais tenir un budget militaire et piloter Matignon n’ont rien à voir : l’un se fait dans la verticalité des casernes, l’autre dans la boue mouvante d’un Parlement éclaté.
Côté société, son héritage est lourd. En 2012, Lecornu s’oppose au mariage pour tous et lâche cette formule cinglante : « le communautarisme gay m’exaspère autant que l’homophobie ». Pour lui, une famille se construit entre un homme et une femme. Ces positions d’alors le rangent clairement dans le camp conservateur et compliquent d’instinct toute passerelle avec les écologistes ou les socialistes. Qu’il ait évolué ou non, ce passif restera une cicatrice politique.
Avec le PS et les Verts, l’affaire est mal engagée. Les socialistes dénoncent déjà « un risque de blocage institutionnel » et annoncent qu’aucun d’entre eux ne participera à cette aventure. Les écologistes parlent de « déni démocratique ». Autant dire qu’on ne construit pas un pont avec des briques de refus. La seule fenêtre de tir serait d’accepter la méthode « texte par texte », d’abandonner la tentation du passage en force, et de proposer un paquet social-écologique crédible. Mais si le gouvernement campe sur l’austérité et les symboles sécuritaires, le dialogue sera inexistant.
Le calendrier, lui, ne pardonne pas. Le budget 2026 doit être déposé au plus tard le 7 octobre, après avis du Haut Conseil des finances publiques. Il reste quatre semaines pour sceller un compromis avant le dépôt, puis soixante-dix jours pour affronter motions, amendements et manifestations. Sur le papier, Lecornu dispose du 49.3 illimité pour passer un budget. En pratique, chaque utilisation supplémentaire nourrit le procès en « passage en force » et rapproche d’une motion de censure fatale.
L’équation budgétaire est claire : comment ramener 44 milliards d’économies sans déclencher une explosion sociale et sans perdre la confiance des marchés ? Trois options s’offrent à lui : une austérité nette qui fracturerait le pays, un cocktail recettes-dépenses qui fâcherait tout le monde mais tiendrait la route, ou une glaciation molle qui repousserait les problèmes à plus tard et plomberait la crédibilité de la France. Dans tous les cas, ce sera du sang, de la sueur et des larmes.
Le projet de Macron n’a pas changé : compétitivité, discipline budgétaire, Europe de la puissance et continuité des réformes. Lecornu est là pour exécuter, pas pour réinventer. S’il veut échapper à l’étiquette de « gouvernement de survie », il devra arracher vite deux ou trois victoires sociales visibles — hôpitaux, transports, rénovation thermique — et prouver que Matignon n’est pas réduit au rôle de greffier de Bercy.
Mais au fond, tout le monde se pose la même question : ce gouvernement tiendra-t-il ? Il peut survivre à l’automne s’il obtient une abstention de la gauche sur le budget. Mais s’il est contraint de gouverner par 49.3 et ordonnances, il accélérera son propre enterrement. Les oppositions ne se privent déjà pas : « provocation », « dernière cartouche », « on censurera ».
Dès lors, la dissolution n’est plus un mot tabou. Macron a déjà utilisé l’arme en 2024, sans réussir à dégager une majorité. Rejouer le coup en 2025, c’est risquer d’amplifier l’ingouvernabilité ou d’offrir les clés du pays à ses adversaires. Mais à force de colmater à la ficelle, cette option deviendra moins un risque qu’un passage obligé.
Lecornu est la dernière cartouche de Macron. Une cartouche de précision, peut-être. Mais quand un président en est réduit à sa dernière balle, ce n’est jamais parce qu’il a encore la main.

