📜 Lettre à usage divin, ou presque
Cher… euh… Toi
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Difficile de t’écrire quand on ne sait même pas à qui on s’adresse. Dieu ? Seigneur ? Papa céleste ? Patron de l’éternité ? Va savoir. J’aurais pu faire comme tout le monde et commencer par « Mon Père », mais j’ai comme l’impression que celle-là , tu l’as entendue un bon million de fois. Et puis, si ça se trouve, tu n’es pas un, mais plusieurs. Ou rien du tout. En tout cas, vu d’ici, vous êtes plusieurs à prétendre être le seul, et vos adeptes se mettent joyeusement sur la gueule pour défendre cette exclusivité. On appelle ça la paix des religions, non ?
Enfin bref. Me voilà en train de lancer une bouteille à la mer… ou plutôt à l’éther. Un message que je sais pertinemment voué à rester sans réponse. Mais bon, paraît-il qu’il faut persévérer dans la prière. Alors me voici : persévérant, ironique, et un brin fatigué.
Toi qui vois tout depuis ton balcon d’éternité, tu sais très bien dans quel foutoir on patauge. Tu les connais, les sales habitudes humaines : l’individualisme érigé en vertu, la compétition comme horizon, le chacun pour soi comme projet de société. Le culte de la personnalité remplaçant le culte tout court. Et pendant que certains s’adorent eux-mêmes dans la glace, l’humanité oublie de regarder autour.
Quant à ton Église… Ah, ton Église ! Magnifique, grandiose, brodée d’or, parfum d’encens et latin de concours. Une mise en scène divine, qui ferait rougir les meilleurs producteurs de Broadway. Sauf que quand on gratte un peu sous la dorure… eh bien parfois, ça sonne creux. Que fait-elle vraiment pour le monde d’après ? On y voit revenir, comme une vieille mode qu’on croyait oubliée, une tendance au traditionalisme dur, corseté, où la soutane pèse plus que la parole de feu. Ça, je t’avoue, ça m’inquiète. Parce qu’on ne bâtit pas l’avenir avec des chandeliers et des missels d’époque.
Alors, oui, parfois – bon, souvent – je doute. Je doute de toi, de ton silence, de ton plan qui reste aussi lisible qu’une ordonnance de médecin en hébreu. Mais je continue. Je reste là , pas toujours sur les bancs de ton Église (le bois est dur, et parfois les homélies encore plus), mais au travail. À l’œuvre. Pour elle, malgré elle. Pour Toi, peut-être.
Un jour, on se retrouvera – c’est écrit, paraît-il. Si possible le plus tard possible, soyons clairs. Et alors, il faudra bien qu’on parle de tout ça. De cette éternité que tu proposes – disons-le franchement : un peu floue sur le programme. Parce que si déjà , une vie de mortel est un sacré marathon, j’imagine que l’éternité, ce n’est pas un pique-nique.
Je ne vais pas te demander ici de régler les guerres, les famines, les fanatiques qui tuent en ton nom. Non. Je ne te demande qu’une chose simple : un monde un peu plus doux. Où croire en toi serait un appui, pas un motif de découragement. Où ta présence, même discrète, réchaufferait un peu plus que l’air confiné des sacristies.
Je suis confiant que tu vas me répondre. Ou, au moins, m’envoyer ton Esprit Saint en recommandé. Et si rien ne vient ? Bah, j’aurai au moins essayé. Et comme toute brebis égarée qui se respecte, je continuerai à bêler, à mi-chemin entre le doute et la foi.
