Loi plein emploi : Vers une société sans filet de sécurité ?
Je suis bien conscient que certains de mes lecteurs pourraient me trouver « monomaniaque » sur cette question. Ce n’est en effet pas la première fois que j’écris pour exprimer mes craintes face à la « loi plein emploi » et à ses conséquences dramatiques sur les plus précaires. Pourtant, je persiste et signe : ce projet constitue une menace directe pour les plus vulnérables de notre société.
Depuis plusieurs mois, la mise en place de la « loi plein emploi » suscite de vives inquiétudes, notamment en raison des décrets d’application prévoyant des sanctions contre les allocataires du RSA. Ce dispositif, présenté comme une incitation à l’insertion professionnelle, risque en réalité de plonger de nombreuses personnes déjà fragilisées dans une précarité encore plus grande.
De plus, cette loi fait peser un risque important de « non-recours aux droits », un phénomène déjà bien connu qui frappe particulièrement les personnes les plus vulnérables. Nombre d’allocataires du RSA, par manque d’information, par peur des démarches administratives ou tout simplement parce qu’ils ne comprennent pas qu’ils peuvent y prétendre, renoncent à faire valoir leurs droits. Ce « décret sanctions » aggraverait cette situation en dissuadant encore davantage les personnes concernées de faire appel à l’aide à laquelle elles ont droit.
En tant que citoyen engagé et membre actif du Conseil National des politiques de Lutte contre les Exclusions (CNLE), je ne peux rester silencieux face à ce que je considère comme une atteinte grave à notre modèle social et aux principes fondamentaux de solidarité nationale. Il est de notre devoir d’alerter l’opinion publique et d’interpeller les pouvoirs publics avant qu’il ne soit trop tard.
Le « décret sanctions », prévoyant la suspension du RSA en cas de non-réalisation de 15 heures d’activités hebdomadaires, pose un grave problème d’équité et de justice sociale. En effet, il ne prend pas en compte la diversité des parcours de vie, les situations personnelles et les obstacles réels auxquels sont confrontés les allocataires du RSA.
Les raisons pour lesquelles certains allocataires ne peuvent pas satisfaire à cette obligation sont multiples : problèmes de santé chroniques, dépression, troubles cognitifs ou psychiques, isolement social, absence de solutions de garde d’enfants, absence de moyens de transport adaptés, situations de précarité extrême… Ces obstacles ne sont pas des signes de mauvaise volonté mais des réalités complexes qui rendent toute exigence uniforme injuste et inapplicable.
Tout comme mes collègues du CNLE, je demande un moratoire sur ce « décret sanctions » et souhaite développer à nouveau les arguments qui justifient cette demande.
Le CNLE demande un moratoire sur le projet de décret d’application
Le CNLE exprime sa vive inquiétude face à ce projet de décret d’application, qui modifie le régime des sanctions. Ce décret, s’il était appliqué, risquerait d’entraîner des ruptures de droits et des radiations infondées, avec des conséquences dramatiques pour les personnes déjà fragilisées dans leur parcours de vie.
Ces ruptures de droits sont bien plus qu’un simple incident administratif. Elles provoquent des enchaînements tragiques dans la vie des personnes concernées : expulsion locative, perte brutale de ressources pour s’alimenter, voire perte totale de repères sociaux. En privant les plus précaires d’un filet de sécurité indispensable, le « décret sanctions » met en danger leur dignité et leur survie.
Le CNLE souligne également que ces sanctions risquent de toucher de manière disproportionnée les personnes les plus éloignées de l’emploi : celles qui souffrent de pathologies chroniques, qui font face à des situations familiales complexes ou qui sont confrontées à des discriminations systémiques. Ces publics sont déjà souvent exclus des dispositifs d’accompagnement classiques, et les sanctions viendraient aggraver leur isolement et leur précarité.
Le CNLE insiste donc sur la nécessité d’un moratoire sur ce décret, afin de réévaluer les impacts concrets qu’il pourrait avoir sur les populations concernées. Ce moratoire permettrait d’engager un véritable dialogue avec les associations de lutte contre la pauvreté et les acteurs du terrain, afin de trouver des solutions plus justes et plus respectueuses de la dignité humaine.
Nous ne pouvons pas accepter que des individus déjà fragilisés soient placés sous la menace permanente d’une perte totale de leurs ressources. Plutôt que de recourir à des sanctions systématiques, il est urgent de renforcer les dispositifs d’accompagnement social et professionnel, en les adaptant aux réalités de chacun.
La réciprocité de l’engagement de la collectivité vis-à-vis des allocataires du RSA
Le CNLE rappelle que les allocataires du RSA ne sont pas les seuls à avoir des devoirs dans le cadre du contrat d’engagement. La collectivité a également une responsabilité vis-à-vis de ces personnes. Cet engagement réciproque implique que la collectivité mette en place les moyens nécessaires pour permettre aux allocataires de respecter leurs obligations. Cela passe par un accompagnement personnalisé et une prise en compte des réalités sociales auxquelles ces publics sont confrontés.
Ainsi, le CNLE insiste sur le fait que cet accompagnement ne saurait se limiter à l’incitation à l’emploi. Il doit inclure des solutions concrètes pour lever les freins à l’insertion, tels que l’accès à des soins, à un logement stable ou à des modes de garde pour les enfants. La collectivité a le devoir d’offrir un environnement propice à la réinsertion, sans quoi les obligations imposées aux allocataires deviennent injustes et inefficaces.
Cet équilibre entre droits et devoirs est indispensable pour garantir une politique juste et efficace. La responsabilité ne peut reposer uniquement sur les épaules des plus précaires sans que la société, à travers ses institutions, ne prenne sa part de l’effort.
Mise en place d’un revenu plancher en cas de sanction
Le CNLE plaide pour l’instauration d’un « revenu plancher », une mesure indispensable pour préserver la dignité humaine. L’objectif est d’éviter qu’une sanction administrative ne débouche sur une privation totale de moyens de subsistance. En cas de sanction, un socle minimal de ressources permettrait aux personnes concernées de maintenir un accès aux besoins essentiels : alimentation, logement et soins.
Un tel dispositif serait notamment crucial pour les foyers comprenant des enfants, afin d’éviter que les plus jeunes soient les premières victimes de ces mesures. Le CNLE estime que ce « revenu plancher » doit être conçu de manière à prendre en compte la situation individuelle des allocataires, notamment les personnes en situation de handicap, les familles monoparentales et les personnes confrontées à des problèmes de santé chroniques.
Une évaluation pluraliste avant toute application du décret
Le CNLE insiste sur la nécessité de mener une évaluation rigoureuse et pluraliste avant toute application du décret « sanctions ». Cette évaluation devra rassembler les associations de lutte contre la pauvreté, les acteurs du terrain et les représentants des personnes concernées.
Cette évaluation devra examiner en profondeur les conséquences réelles du dispositif sur les publics précaires. Il s’agit notamment de mesurer les effets potentiels sur les ruptures de droits, les expulsions locatives et les interruptions de soins. En outre, cette évaluation devra étudier les conséquences psychosociales d’un tel dispositif, qui risque de renforcer la stigmatisation des bénéficiaires et de les enfermer davantage dans une spirale de précarité.
Le CNLE rappelle que l’exigence de 15 heures d’activité hebdomadaire exerce une pression démesurée sur des publics déjà fragilisés. Cette contrainte risque d’affaiblir la mission d’accompagnement social et de détourner le bénévolat de sa dimension libre et volontaire. En ce sens, le CNLE alerte sur le risque d’augmentation du non-recours aux droits, en contradiction avec les efforts menés dans le cadre de l’expérimentation nationale « Territoires Zéro Non-Recours » (TZNR).
Face à ces incertitudes et risques majeurs, le CNLE insiste sur l’urgence d’un moratoire sur ce décret, le temps que des solutions alternatives plus justes et plus efficaces soient trouvées.
Un avertissement contre le démembrement du modèle social français
Je crois sincèrement que si aujourd’hui nous assistons silencieusement au démembrement du RSA, nous courons tout droit à la catastrophe. Demain, ce sera l’AAH, les allocations familiales, ou encore les aides au logement qui verront leur versement conditionné à une forme d’activité, même si elle ne prendra pas forcément les mêmes formes que les sanctions prévues par la loi plein emploi.
Nous assistons impuissants à la mort annoncée de notre système social, menée par un gouvernement et une courte majorité de parlementaires qui considèrent les personnes vivant des minima sociaux comme des « feignasses ».
La grande majorité d’entre nous souhaiterions reprendre une activité, mais nous ne le pouvons pas pour des raisons multiples : problèmes de santé, manque de solutions de garde pour les enfants, difficultés d’accès à la formation ou encore absence d’emplois adaptés à nos capacités.
Face à un gouvernement qui stigmatise les plus pauvres, que devons-nous faire ? Nous taire et nous soumettre ? Cela, jamais. Il n’en est pas question. Le combat continue et nous devons faire plier ce gouvernement avant qu’il n’achève notre modèle social à la française.
Découvrez pourquoi le décret ‘sanctions’ de la loi plein emploi menace directement les allocataires du RSA et risque d’aggraver la précarité. Dans cet article engagé, j’alerte sur les conséquences dramatiques de cette réforme et appelle à un moratoire pour protéger les plus vulnérables de notre société
