Loi « Plein emploi » : Une réforme qui précarise et fragilise davantage les allocataires du RSA
par Xavier BAUMIER · Publié · Mis à jour
L’entrée en vigueur de la loi pour le plein emploi en décembre 2023 marque un tournant préoccupant dans les politiques sociales françaises. En imposant aux allocataires du Revenu de Solidarité Active (RSA) de justifier 15 heures d’activité hebdomadaire, cette réforme prétend favoriser l’insertion professionnelle. En réalité, elle risque surtout d’aggraver la précarisation des personnes les plus fragiles et de décourager le recours à ce droit fondamental.
En tant que membre du Conseil National des politiques de Lutte contre la pauvreté et l’Exclusion sociale (CNLE), je tiens à exprimer ma farouche opposition à toute forme de contrainte exercée sur celles et ceux qui tentent de survivre grâce au RSA. Cette réforme, bien loin de proposer un accompagnement réaliste et bienveillant, constitue une pression injuste sur des personnes déjà vulnérables.
Une réforme qui méconnaît la réalité de la précarité
➤ Un RSA déjà insuffisant pour vivre dignement
Présenter les allocataires du RSA comme des « bénéficiaires » est trompeur. Ce terme laisse entendre que cette aide leur assurerait un confort minimal, ce qui est faux. En 2024, le montant du RSA pour une personne seule est de 607,75 € par mois, bien loin du seuil de pauvreté, estimé à environ 1 150 € par mois.
Vivre avec le RSA, c’est affronter quotidiennement des choix impossibles : payer ses factures ou manger à sa faim, se chauffer ou se soigner. Considérer cette allocation comme un « avantage » méconnaît la dure réalité vécue par ses allocataires.
➤ Une logique punitive et contre-productive
L’obligation d’effectuer 15 heures d’activité hebdomadaire repose sur une vision erronée selon laquelle les personnes au RSA seraient inactives par choix. Or, les causes de l’éloignement de l’emploi sont bien plus complexes :
- Problèmes de santé,
- Absence de logement stable,
- Isolement social,
- Manque de formations adaptées,
- Difficultés d’accès aux transports ou à la garde d’enfants.
Plutôt que de traiter ces freins structurels, cette réforme adopte une posture coercitive, plaçant les allocataires dans une position de culpabilité permanente. Pour beaucoup, cette obligation se traduira par un empilement de démarches administratives lourdes, difficiles à comprendre et stressantes.
➤ Des sanctions menaçantes et injustes
Le risque de sanctions en cas de non-respect des 15 heures d’activité est particulièrement préoccupant. De nombreuses personnes en situation de grande précarité, souvent isolées ou souffrant de problèmes de santé, risquent de se voir privées de leur unique revenu de subsistance pour des raisons indépendantes de leur volonté.
Des recommandations fortes du CNLE pour protéger les plus vulnérables
Face à ces risques majeurs, le Conseil National des politiques de Lutte contre la pauvreté et l’Exclusion sociale (CNLE), dont je suis membre, a formulé des recommandations fermes à la ministre du Travail dans son avis de mars 2025.
🔹 Un moratoire sur les sanctions
Le CNLE demande un moratoire immédiat sur la mise en œuvre des sanctions. Il est impératif d’attendre qu’une évaluation complète, participative et représentative démontre l’existence d’un accompagnement effectif et individualisé sur l’ensemble du territoire national avant d’envisager toute sanction.
➡️ Sans cette garantie, les sanctions risqueraient d’aggraver dramatiquement la précarité des personnes déjà en difficulté.
🔹 Un accompagnement humain et adapté
Le CNLE insiste sur la nécessité d’un accompagnement :
✅ De qualité, pour répondre aux besoins réels des personnes,
✅ Individualisé, tenant compte de leurs contraintes spécifiques,
✅ Respectueux, en intégrant les libertés et aspirations de chacun.
Le véritable défi n’est pas d’imposer des obligations uniformes, mais bien de construire des parcours adaptés, permettant à chaque individu de progresser à son rythme.
🔹 La mise en place d’un revenu plancher
Pour éviter que les allocataires ne sombrent dans l’extrême pauvreté en cas de suspension du RSA, le CNLE préconise la création d’un revenu plancher. Cette mesure garantirait un minimum vital, indispensable pour assurer la survie des personnes concernées.
Un risque majeur de non-recours aux droits
La réforme porte également un risque inquiétant de non-recours au RSA. Par crainte des contraintes et des sanctions, de nombreuses personnes éligibles pourraient renoncer à demander cette aide pourtant essentielle.
Les chiffres actuels montrent déjà que près d’un tiers des personnes qui pourraient percevoir le RSA n’en font pas la demande, souvent par peur de la stigmatisation ou en raison de démarches administratives complexes. Avec cette réforme, ce phénomène risque de s’amplifier, plongeant encore davantage de personnes dans l’exclusion.
Une réforme injuste et inefficace
En tant que membre du CNLE, je dénonce fermement cette réforme qui, sous couvert d’incitation à l’emploi, menace en réalité de précariser davantage des personnes déjà fragilisées.
Plutôt que de culpabiliser les allocataires du RSA et de leur imposer des contraintes supplémentaires, il est urgent d’investir dans :
✅ Un accompagnement renforcé et bienveillant,
✅ Des solutions concrètes pour lever les freins à l’emploi,
✅ Un accès simplifié aux dispositifs d’aide et d’insertion.
La pauvreté ne se combat pas à coups de sanctions, mais par la mise en place de solutions réalistes et humaines. Imposer 15 heures d’activité hebdomadaire, sans garanties d’accompagnement effectif et individualisé, revient à fragiliser encore davantage celles et ceux qui peinent déjà à survivre.
Les allocataires du RSA ne sont pas des « assistés » mais des personnes en grande difficulté qui méritent d’être soutenues et accompagnées avec respect et dignité.
