Plénière du CNLE : chronique d’un enfumage ordinaire

Entre misère sociale, PowerPoint abscons et grandes pirouettes verbales

Il était environ 9h30 mardi. Le soleil brillait mollement sur les toits parisiens, et moi, en fidèle membre du CNLE (Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale), je franchissais les portes vitrées du ministère avec la gravité d’un évêque montant en chaire. Mon badge bien visible, mes convictions en bandoulière, et mes espoirs pas encore tout à fait rincés.

C’était jour de plénière. Grande messe républicaine. On allait parler pauvreté. Enfin, “parler”… disons, l’évoquer. À demi-mot. Entre deux PowerPoints.

L’art de faire tenir un monde en souffrance dans un PowerPoint

La salle était presque vide. Les rangs clairsemés témoignaient d’un enthousiasme modéré pour ce grand rendez-vous de la solidarité institutionnelle. Les habitués, les institutionnels, quelques membres associatifs, et bien sûr, des représentants de personnes concernées par la pauvreté. Ceux qui savent de quoi ils parlent, parce qu’ils le vivent. Ceux qu’on écoute poliment. Cinq minutes. Avant de passer au point suivant.

Les interventions se succèdent. On parle d’indicateurs, d’objectifs, de « remobilisation des allocataires » (traduction : sanctions déguisées). Un brin de cynisme s’échappe parfois des regards. Mais tout le monde fait comme si. Comme si on allait vraiment inverser la courbe du non-recours. Comme si les « 15 heures d’activité obligatoires » allaient sortir quiconque de la galère. Comme si l’État se souvenait encore de ce que veut dire « solidarité ».

À quoi bon ?

Je gratte quelques mots dans un carnet. J’essaie de me souvenir pourquoi je suis là. Pour qui. Et je me rappelle une phrase entendue dans le couloir :

« Faut pas rêver non plus, on ne va pas tout changer avec des avis consultatifs. »

Peut-être. Mais alors, à quoi bon ce grand cirque ? À quoi bon nos présences ? Nos indignations ? Nos propositions, parfois votées à l’unanimité… pour finir dans une annexe ministérielle jamais lue ?

Quand les technocrates prennent le micro

Et donc, après le ballet des slides illisibles et des acronymes qu’on ne comprend que lorsqu’on travaille à Bercy depuis vingt ans, nous avons eu droit au grand numéro du directeur général de la CNAF, bientôt rejoint par le directeur général de la cohésion sociale, dont l’intervention avait le charme d’un vieux manuel de droit administratif oublié sur une étagère depuis 1997.

On nous a expliqué, en long, en large, et surtout en diagonale, ce qu’était censée être la “solidarité à la source”. Enfin, “expliqué” est un bien grand mot : personne n’a rien compris, et pour cause, rien n’était clair. Des phrases sans verbe, des sigles en rafale, et des pirouettes langagières à faire pâlir un trapéziste de foire. On aurait presque applaudi si ce n’était pas tragique.

Et quand, enfin, les membres du CNLE ont tenté de poser quelques questions concrètes – notamment sur les sanctions dites “de remobilisation” pour les allocataires du RSA – eh bien… chacun a renvoyé la balle dans le camp du politique, comme s’il s’agissait d’un match de foot où personne ne voulait toucher le ballon.

Petit rappel : la CNAF est un organisme payeur, elle applique. Mais à écouter certains, on croirait qu’elle n’a jamais rien signé, ni même vu le décret passer. Quant au directeur général de la cohésion sociale, il semblait découvrir en direct qu’il y avait une petite polémique sur les sanctions. Charmante candeur.

Bref, aucune réponse claire, quelques faux-fuyants élégants, beaucoup de regards vers leurs chaussures, et cette impression tenace que le CNLE est là pour faire joli, tant qu’il ne fait pas trop de vagues.

Marre de faire de la figuration

Et moi, franchement ? À ce rythme-là, je ne suis pas certain d’avoir encore envie d’assister à ces plénières, où l’on disserte plus sur le thermomètre que sur la fièvre. Si c’est pour entendre des absurdités technocratiques enrobées de PowerPoint, je préfère mille fois travailler dans les commissions, là où l’on creuse, où l’on débat, et parfois même – sacrilège – où l’on écoute les premiers concernés.

Parce qu’à force de tourner autour du pot, on va finir par tomber dedans. Et franchement, ce ne sera pas de la bière.

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