đź§ą Sanction-remobilisation : quand l’État nettoie les pauvres au karcher de la bureaucratie

Vous allez encore dire que je radote, que je fais une fixette. Et vous aurez raison : je radote, je m’obsède, je me cabre. Mais comment faire autrement ? Ce week-end, pendant que certains feront des barbecues ou réviseront leurs mantras de développement personnel, notre très estimée ministre Catherine Vautrin sortira son plus beau stylo Montblanc pour signer le décret d’application de l’infâme dispositif dit de « remobilisation » des allocataires du RSA. Un joli nom pour un sale boulot.

📝 Remobilisation, en novlangue technocratique, c’est quand l’État, au lieu de soutenir ceux qui peinent à se maintenir à flot, leur jette une ancre autour du cou.

Une punition hebdomadaire de 15 heures

Ă€ partir de maintenant, toute personne percevant le RSA sera astreinte Ă  15 heures d’activitĂ© hebdomadaire. Formation, bĂ©nĂ©volat, tri des chaussettes dans les centres sociaux, que sais-je. C’est moins une aide qu’un stage de rééducation civique. Comme si la pauvretĂ© rĂ©sultait d’un manque d’élan, pas d’un manque de moyens.

Et attention : ne pas s’y plier, c’est s’exposer à des sanctions, des suspensions, des radiations. L’aide devient conditionnelle, l’humanité devient optionnelle. Il fallait bien une « loi plein emploi » pour vider les fichiers CAF.

Une fabrique à radiations et à désespoir

Le CNLE (Conseil National des Politiques de Lutte contre la PauvretĂ© et l’Exclusion), instance dont j’ai l’honneur (pardon : l’utilitĂ© opiniâtre) de faire partie, a rendu un avis le 9 mai. Et que disait-il ? Qu’avec ce dĂ©cret, le risque est immense : explosion du non-recours, durcissement des relations entre administrations et allocataires, destruction du lien de confiance, et en prime, aucun rĂ©sultat tangible en matière de retour Ă  l’emploi.

Mais bon, hein, qui écoute encore les pauvres ? Ou ceux qui travaillent avec eux ?

Le retour des brigades de la morale sociale

Ce décret transforme le travailleur social en contrôleur de conformité comportementale. Et l’allocataire en suspect permanent. L’administration entre chez vous, compte vos heures, vous demande des preuves, des justifications. L’État qui ne vous propose ni emploi ni logement se permet de vous faire la leçon sur votre utilité sociale.

La misère devient une faute. Le RSA, une faveur. Et bientôt, pourquoi pas, un permis à points ?

Un dĂ©cret signĂ© un dimanche : ça ne s’invente pas

C’est donc un dimanche (jour du Seigneur pour les uns, du repos pour les autres) que Madame la ministre signera ce décret. Avec le zèle discret d’un huissier venu vider un appartement, le gouvernement applique sans trembler une mesure rejetée par les associations, les chercheurs, les allocataires eux-mêmes, et même une partie des départements pilotes.

Mais il faut bien remplir des indicateurs. Faire croire que la France se redresse. Ou qu’au moins elle se redresse contre quelqu’un.

Et pendant ce temps, ATD Quart Monde alerte. Et résiste.

Ce lundi encore, nous étions dans les locaux d’ATD Quart Monde, avec Noam Leandri (président du collectif Alerte et collègue au CNLE), pour signer la pétition contre ce décret. Échange riche avec des militants fatigués mais pas résignés. Et tous posaient cette question simple, presque candide : mais qu’est-ce qu’on veut leur faire payer, au juste, aux pauvres ?

Ă€ qui le tour ?

Ce décret, ce n’est pas une mesure sociale. C’est une opération de tri. Un tri entre les « bons pauvres », ceux qui acceptent, qui courbent l’échine, et les « mauvais pauvres », ceux qui osent dire non, ceux qui n’ont pas les moyens matériels ou psychiques d’entrer dans la machine.

C’est un système qui ne veut plus les accompagner, mais les éliminer statistiquement. Ils n’auront plus de droits. Juste des devoirs.

L’État social est mort, vive l’État disciplinaire

On ne combat plus la pauvreté. On la surveille, on la sanctionne, on la formate. On l’habille de missions de remobilisation comme on collerait un plâtre sur un bras gangrené.

Et pendant qu’on amuse la galerie avec des « activitĂ©s d’insertion », on oublie que l’emploi manque, que le logement manque, que la dignitĂ© manque.

Alors non, je ne lâcherai pas l’affaire. Car c’est toujours quand les gens ferment les yeux qu’on assassine les droits.

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