S’émanciper sans trahir : plaidoyer pour une fidélité libre
Il m’a fallu du temps pour comprendre que l’émancipation n’est pas une trahison.
Il m’a fallu du courage pour la vivre.
Et aujourd’hui, il me faut sans doute un peu d’audace pour l’écrire.
Pendant longtemps, j’ai cru que rester, c’était être fidèle. Que partir, c’était fuir.
J’ai vécu des engagements forts. J’ai porté des responsabilités, répondu à des appels. Par loyauté. Par sens du devoir. Par attachement à des causes, à des visages, à des communautés.
Je n’ai jamais triché.
J’ai toujours donné ce que je pouvais. Parfois plus.
Et je ne renie rien. Rien de ce que j’ai été. Rien de ce que j’ai fait. Rien de ceux avec qui j’ai marché.
Mais aujourd’hui, j’ai pris une décision : je me retire. Je m’émancipe.
Pas pour me désengager. Pas pour me détacher de tout. Mais pour redevenir moi-même. Pour retrouver la respiration de ma liberté intérieure. Pour ne pas laisser ma loyauté se transformer en résignation.
La loyauté, cette belle exigence… qui peut devenir piège
La loyauté est une vertu rare. Je l’ai apprise dans les yeux de mes parents, dans les luttes syndicales, dans les bancs de l’Église, dans la fraternité des associations.
Elle suppose la constance, l’endurance, la confiance. Elle nous relie à plus grand que nous.
Mais elle peut devenir un piège, quand elle est instrumentalisée. Quand on nous fait croire que rester est une obligation morale. Quand la fidélité à un cadre devient plus importante que la fidélité à notre propre conscience.
Je ne veux pas être loyal au point de devenir complice.
Ni fidèle au point de devenir silencieux.
L’émancipation, ce mot qu’on confond trop vite avec rupture
S’émanciper, ce n’est pas renier. Ce n’est pas trahir. C’est dire :
« Je suis devenu capable de penser par moi-même. Je n’ai plus besoin de permission pour exister. Je ne renie pas ce que j’ai reçu, mais je ne m’y laisse plus enfermer. »
On peut rester loyal à une histoire, à une intuition, à un idéal, tout en refusant ses dérives.
On peut aimer sans obéir. Respecter sans se soumettre.
On peut continuer à croire au fondement, même quand la façade s’écroule.
S’émanciper, c’est aussi honorer ceux qui nous ont formés, en devenant enfin ce qu’ils espéraient : un être libre, debout, pensant.
Je m’en vais… mais je reste
Je ne quitte pas pour disparaître.
Je ne pars pas pour me venger.
Je ne coupe pas les ponts. Je les traverse.
Je choisis aujourd’hui de me retirer d’un certain mode d’action, de m’éloigner de certaines fonctions, de laisser d’autres prendre le relais. Parce que j’ai fait ma part. Parce que je sens que mon utilité est ailleurs. Parce que je ne veux plus m’épuiser dans des espaces où ma parole est trop souvent muselée, mon énergie mal orientée, ma liberté étouffée.
Mais je reste profondément lié à ce que je défends : la dignité humaine, la justice sociale, l’Évangile incarné, la solidarité vécue.
Être fidèle, ce n’est pas être docile
Il y a une loyauté qui asservit, et une loyauté qui élève.
Je choisis la seconde.
Celle qui permet de dire non.
Celle qui résiste à l’autorité quand elle devient autoritarisme.
Celle qui n’a pas peur du conflit, parce qu’elle est ancrée dans la vérité.
Je n’ai pas envie d’être un bon petit soldat. Ni un figurant dans une pièce où le scénario est figé d’avance.
Je veux rester un homme libre, debout, à visage découvert.
En conclusion : je pars pour rester fidèle
Je n’ai pas changé de camp. Je n’ai pas renoncé à mes convictions.
Mais j’ai compris que la fidélité, quand elle ne se nourrit plus de liberté, devient une prison.
Alors je pars. Avec le cœur en paix.
Et avec cette phrase en moi comme un viatique :« Il n’y a pas de vraie loyauté sans liberté. »
