Sept fois à terre, huit fois debout : itinéraire d’un ambitieux repenti

Quand je regarde dans le rétroviseur, je me dis parfois – ou parfois plus rarement – : « Quel bordel. »
Je revois ce jeune homme que j’étais : ambitieux jusqu’à l’excès, les dents si longues qu’elles rayaient franchement le parquet. À l’époque, je n’avais que deux idées fixes : réussir en politique, et réussir ma carrière. Les deux, à mes yeux, étaient indissociables.

Oui, j’étais un petit connard d’ambitieux. Toujours dans le calcul, jamais dans la spontanéité. Il y avait toujours une campagne à préparer, un coup bas à dégainer depuis les coulisses, un spin à sortir au cas où un adversaire – ou pire, un ami – viendrait tirer sur mon camp. Toujours sur le qui-vive, prêt à protéger mon clan.

Bref, je n’étais pas franchement un type bien, mais j’étais efficace.
Avec un bon bagage universitaire, un job qui semblait me plaire, et une certaine forme de pouvoir. Que ce soit dans ma collectivité ou dans ma famille politique, je grimpais les échelons à vitesse grand V — parfois même en sautant quelques étapes. Un vrai petit con arrogant, plus craint qu’apprécié. Je n’avais pas bonne réputation, mais à vrai dire, je m’en foutais tant que j’obtenais ce que je voulais. Tout ce que je voulais.

Et puis, comme souvent dans ces histoires-là, il y a la chute.
Violente. Brute. Inattendue.

En une seconde, tout mon monde s’est effondré sous mes pieds : j’apprenais la mort de celle que je considérais comme ma sœur. À ce moment-là, je ne savais pas encore quelles répercussions cet événement aurait sur ma vie. Mais sans trop réfléchir, j’ai décidé de tout plaquer. J’ai quitté la ville, les ors du pouvoir, les jeux d’influence pour revenir en Anjou, retrouver un peu de douceur angevine.

Je croyais rentrer dans un léger moment de tristesse.
Je suis tombé en enfer.

Ce que je prenais pour une dépression classique était en réalité un bon gros burn-out, bien gras, bien sale, qui allait me détruire méthodiquement. Entre hospitalisations, rendez-vous chez les psys, et une bonne dose de médocs, j’ai tenté de m’accrocher. Lentement, très lentement, je remontais la pente. Pas avec la rage et l’ambition d’avant. Avec une sorte de résignation douce. Moins d’énergie, moins de désir de conquérir, mais peut-être un peu plus d’humanité.

La vie a repris ses couleurs. Doucement. L’envie de m’ouvrir aux autres est revenue. Et avec elle, je dois bien l’avouer, l’ambition pointait timidement le bout de son nez.

Mais la vie, décidément, avait décidé de ne pas me lâcher.
Nouveau coup dur : cette fois-ci, c’est mon corps qui m’a lâché.

Les médicaments censés soigner mon esprit avaient abîmé mon colon, transformé en un gros flemmard incapable de faire son travail correctement. Commence alors une nouvelle bataille : rendez-vous médicaux, rééducation, patience infinie… et toujours ce besoin viscéral de s’accrocher. À force de volonté et d’entêtement, j’ai encore une fois remonté cette foutue pente.

Après de longs mois passés loin de chez moi, loin de ce qui était devenu mon cocon, je me suis retrouvé assis sur mon canapé, face à cette question :
« Et maintenant ? »
Qu’allais-je faire de ma vie ? Revenir à ce que j’étais ? Remettre le costume du jeune loup ?

Et puis, comme on dit chez nous, l’Esprit Saint a fait son œuvre.
C’est presque à ce moment précis que le Père Avrillon m’a proposé de prendre en main la Diaconie-Solidarités de la paroisse. Honnêtement, le mot « diaconie » ne me disait pas grand-chose, mais « solidarités », oui. Ça, ça me parlait. Et j’avais une envie immense de me rendre utile à ma communauté.

Alors j’ai dit oui.

Depuis, quelle aventure !
Mon hyperactivité a repris le dessus, cette fois pour la bonne cause : j’ai multiplié les initiatives, monté des soirées thématiques autour des solidarités — et quelle éclate ! Et en plus, ça fonctionne.
Nous avons lancé un projet un peu fou : organiser, une fois par trimestre, un dimanche d’accueil pour ceux qui n’ont nulle part où aller, qu’ils soient migrants ou non. Un beau succès collectif.
Nous avons formé une équipe formidable : engagée, fraternelle, généreuse. Agir ensemble au service des plus précaires, dans une ambiance simple et humaine, voilà quelque chose qui, enfin, donnait du sens à ma vie.

Et ce n’est pas tout.
Pratiquement au même moment, on m’a proposé de rejoindre le Conseil National des Politiques de Lutte contre la Pauvreté et l’Exclusion sociale (CNLE).

Une manière de renouer avec la politique… mais autrement.
Pas pour moi.
Pour les autres. Pour ceux qu’on n’entend jamais.

Franchement, au début, c’était flou.
Les premières réunions étaient carrément compliquées, surtout en mode « hybride » : quand vous êtes à distance sur votre canapé, pendant que les autres discutent autour d’une table, vous avez surtout l’impression d’être une plante verte oubliée dans un coin. C’est pour cela qu’à la place des visios, je préfère les réunions en présentiel, là où les regards s’échangent, là où les discussions de couloir ont lieu. J’enchaine les allers retours entre Angers et Paris, enchainant les trains, courant dans le métro digne d’un véritable parisien.

Mais je me suis accroché. Encore une fois.
J’ai bossé. J’ai plongé dans les dossiers, parfois complexes, que j’ai appris à décortiquer grâce à la patience et à la bienveillance de collègues plus aguerris. Petit à petit, j’ai retrouvé ma place. J’ai même accepté de co-présider le Groupe de Travail sur la Participation au sein du CNLE. Pas une sinécure. Il faut ménager les susceptibilités, faire émerger un projet commun, répondre aux attentes laissées en suspens par la précédente mandature.

Oui, j’ai redonné du sens à ma vie.
Aujourd’hui, je partage mon temps entre la paroisse et le CNLE.
Ce n’est pas toujours évident. Parfois, il y a des incompréhensions. Et de grosses nuits blanches : parce que quand une idée me trotte dans la tête, impossible de dormir. Ou alors parce que l’insomnie fait partie du voyage, désormais.

Mais malgré tout…

Je suis tombé sept fois,
je me suis relevé huit.

Et pour rien au monde, je ne voudrais échanger ma vie actuelle contre celle d’avant.

Parce qu’aujourd’hui, j’ai compris ce qui m’anime.
Et surtout, pour qui je veux être là.

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