Si c’était à refaire, je le referais

Lorsque j’étais élu de Trélazé, il y a une quinzaine d’années, j’ai eu à me prononcer sur une décision lourde de sens : l’implantation sur notre commune d’une nouvelle maison d’arrêt pour remplacer celle d’Angers, située en plein centre-ville et dans un état de vétusté indigne de notre République. Les conditions d’enfermement y sont innommables, inacceptables pour tout démocrate soucieux du respect des droits fondamentaux.

En mon âme et conscience, par conviction profonde, j’ai voté pour cette implantation. Aujourd’hui, si je devais me retrouver dans la même situation, mon vote serait-il le même ? Sans aucun doute, oui. Et je le referais pour deux raisons essentielles.

La première, humaine, s’impose d’elle-même : garantir la dignité des personnes détenues. La privation de liberté ne doit jamais être une privation d’humanité. La surpopulation carcérale, les conditions de détention dégradées, sont autant d’obstacles à la réinsertion — or c’est bien là le but ultime de l’incarcération.

La seconde raison, plus politique, tient à la responsabilité que nous portons, en tant qu’élus. Prendre des décisions impopulaires fait parfois partie de l’exercice démocratique, surtout quand elles servent l’intérêt général. Personne ne veut d’une prison “chez soi”, tout le monde espère qu’elle sera chez le voisin. Mais gouverner, c’est faire des choix courageux.

Je me souviens parfaitement des débats qui ont conduit le conseil municipal de Trélazé à voter à l’unanimité en faveur du projet, y compris des élus qui, aujourd’hui, s’y opposent bruyamment. Certes, le projet a évolué. Il a doublé de volume, s’étendant désormais sur des communes voisines. Ce n’est plus exactement celui que nous avions voté. Mais une réalité demeure : la France manque cruellement de places de détention, et il faut bien “pousser les murs”.

Je n’ignore pas les inquiétudes exprimées, et je les respecte. Elles sont légitimes :

  • L’absence de concertation a pu créer un sentiment d’imposition.
  • L’ampleur du projet, passé de 450 à 850 places, interroge sur la capacité à garantir un accompagnement humain à la réinsertion.
  • Les riverains s’inquiètent de l’impact environnemental : disparition de zones humides, de terres agricoles, d’un bois classé, et risque d’inondation.
  • Le coût du projet a explosé, passant de 130 à 228 millions d’euros.
  • Certains craignent enfin une dévalorisation de leur bien immobilier.

Mais il convient de remettre ces critiques en perspective.

L’agrandissement du projet répond à une nécessité nationale : celle d’accueillir les détenus dans de meilleures conditions. Une prison moderne n’est pas un luxe, c’est un outil de justice et de sécurité.

L’impact environnemental, s’il est réel, fait l’objet de compensations écologiques : reboisement, préservation d’autres zones humides, protection d’espèces. Ces efforts sont perfectibles, mais ils traduisent une volonté de limiter l’empreinte écologique.

L’investissement, aussi conséquent soit-il, est un investissement pour demain : pour la sécurité publique, pour la prévention de la récidive. Un établissement dimensionné aujourd’hui peut éviter bien des crises demain.

Quant à la dévalorisation immobilière, les études montrent que les prisons modernes, bien intégrées à leur environnement, n’ont pas systématiquement d’effet négatif sur le marché local. Et il faut rappeler une vérité simple : ce projet est connu depuis plus de quinze ans. Lorsqu’il a été voté, le quartier concerné n’était quasiment pas sorti de terre. Nul ne pouvait ignorer son existence. Ceux qui y ont investi l’ont fait en toute connaissance de cause.

Le débat qui s’ouvre mérite mieux que des caricatures. Faire croire que la criminalité va exploser à Trélazé ou que la ville va devenir un “no man’s land” est indigne et infondé. Ces propos, tenus par certains candidats aux prochaines élections municipales, relèvent soit de l’ignorance, soit d’un cynisme électoraliste déplorable.

Il faut replacer ce débat dans un cadre plus large. Que faisons-nous, collectivement, face à la surpopulation carcérale ? Deux voies sont possibles, comme le rappelle mon collègue au CNLE, Olivier Milhaud, géographe spécialiste des lieux d’enfermement :

  • Soit on construit de grandes prisons modernes, souvent critiquées pour leur dimension industrielle.
  • Soit on change de paradigme, en adoptant une politique de réductionnisme pénal : incarcérer moins, pour moins longtemps, et développer des alternatives crédibles, respectueuses de la dignité humaine et plus efficaces à long terme.

Cette seconde voie, soutenue par des institutions comme le Conseil de l’Europe ou l’Observatoire international des prisons, est celle que je défends. Il est urgent de repenser notre politique pénale, de sortir de l’obsession de l’enfermement, et de faire de la justice une force de réinsertion, non de relégation.

Mais tant que cette transition n’est pas pleinement engagée, nous avons le devoir d’assurer des conditions de détention dignes, ici et maintenant. Et c’est bien dans cette logique que s’inscrivait mon vote. Alors je le redis, avec force et conviction :
si c’était à refaire, je le referais.
Je voterais avec humanité pour que notre commune accueille une prison.

 

Vous aimerez aussi...