Je ne voulais plus faire de politique. Mais à Angers, le silence des élus tue.
par Xavier BAUMIER · Publié · Mis à jour
Je viens d’Angers. Une ville belle, paisible en apparence, mais comme tant d’autres, elle est traversée par une fracture sociale de plus en plus béante.
Depuis mon entrée au Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), je vois autrement mon territoire.
Je l’écoute. Je l’observe. Je le ressens.
Et le constat me frappe de plus en plus fort :
Notre pays glisse doucement vers une normalisation de la pauvreté.
Pas la pauvreté honteuse que l’on cache. Non. La pauvreté intégrée. Acceptée. Comme si les choses étaient désormais ainsi, et qu’il fallait s’y faire.
À Angers, dans le Maine-et-Loire, des dizaines de milliers de personnes vivent avec l’angoisse du lendemain. Le RSA, qui devrait être un socle de survie, devient un piège. Et maintenant, le gouvernement décide d’ajouter à la précarité la menace de sanctions.
Le décret du 30 décembre 2023, dit de « remobilisation », est une attaque en règle contre les plus fragiles. On y parle d’accompagnement, mais c’est bien un régime de sanctions automatiques qui est mis en place. Un demandeur d’emploi ou un allocataire du RSA qui ne remplit pas correctement une formalité administrative ? Radié. Un oubli dans la déclaration ? Suspension immédiate.
Et que dire des personnes handicapées, allocataires de l’AAH, qui se retrouvent happées dans le même engrenage absurde, sommées de se « remobiliser », sans égard pour leur réalité ? On rêve.
Cette logique punitive, censée encourager l’insertion, produit exactement l’inverse :
- une montée du non-recours,
- un climat de peur institutionnelle,
- un renforcement des inégalités territoriales.
Le Maine-et-Loire, comme bien d’autres départements ruraux et périurbains, souffre d’une offre d’insertion très faible. Et pourtant, les allocataires y sont sanctionnés comme s’ils refusaient sciemment l’emploi, alors même qu’il n’y a ni accompagnement suffisant, ni postes adaptés.
Angers, ville-centre abandonnée ?
Et Angers, ville-centre, censée être un moteur de solidarité ?
Que fait Christophe Béchu, maire d’Angers, ancien ministre du gouvernement qui a voté la loi « plein emploi » ? Cette même loi qui a instauré le principe d’une « remobilisation sous contrainte » pour les allocataires du RSA.
Alors oui, le maire d’Angers est comptable de ce bilan social.
On ne peut pas se vanter d’avoir été ministre d’un gouvernement qui prétendait renforcer le lien emploi-insertion, et détourner les yeux quand les files s’allongent devant les Restos du Cœur ou les accueils de jour.
On ne peut pas revendiquer une politique nationale de rigueur sociale, et laisser dans sa propre ville des centaines de personnes sans eau, sans logement, sans accompagnement.
Il y a une cohérence à retrouver. Une responsabilité à assumer. Une justice sociale à reconstruire, ici même.
J’avais quitté la politique locale. Me voilà de retour.
Je l’écris avec franchise :
Je ne voulais plus de cet engagement politique.
Je m’étais convaincu que d’autres pouvaient prendre le relais. Que j’avais donné. Que ma place était désormais ailleurs.
Mais voilà : la réalité me rattrape.
Et plus encore, l’injustice m’oblige.
Ce que je vois, ce que j’entends au CNLE, ce que je vis à Angers : tout cela me donne envie de me relever. Pas pour briller. Mais pour me battre, localement, avec d’autres, contre l’indifférence, contre la résignation, contre cette grande pauvreté devenue invisible pour ceux qui ne la subissent pas.
Il ne s’agit pas de refaire carrière. Il s’agit d’agir.
De faire entendre une autre voix. De retrouver un sens à l’action publique, à la fraternité, à la dignité.
J’ai longtemps cru qu’il suffisait d’écrire, de dénoncer, de proposer.
Mais aujourd’hui, je veux aussi me mouiller. Me rendre utile. Revenir.

