Tuyauterie bouchée : attention, danger

(Récit (très) sérieux d’une descente aux enfers digestive)
Parler de constipation, c’est un peu comme parler de son relevé bancaire après les fêtes : tout le monde est concerné, mais personne n’ose aborder franchement le sujet. Dans notre société où l’on poste sans honte son petit-déjeuner « healthy » ou ses mollets de crossfiteur du dimanche, il existe un tabou plus solide qu’une dalle de béton : nos intestins.
S’il fallait croire Instagram, tout le monde aurait un ventre plat, un transit régulier et chanterait presque à chaque passage aux toilettes. Spoiler : non. Spoiler 2 : ce n’est pas en mangeant trois graines de chia que vous allez régler vos problèmes.
Pourtant, 5 à 15 % des Français vivent avec un Syndrome de l’Intestin Irritable (SSI).
Derrière ce sigle qui sent bon le congrès de gastro-entérologie, se cache une réalité bien moins vendeuse : douleurs abdominales, ballonnements dignes d’un zeppelin, diarrhées inopinées ou constipation sévère. Voire tout ça en alternance, pour les plus chanceux. C’est un peu comme jouer à la roulette russe… sauf que la balle, c’est votre confort digestif.
Le SSI n’est ni une coquetterie, ni une affaire de mental fragile : c’est une vraie maladie, lourde, pesante, handicapante. Mais chut : dans la grande foire aux apparences, il est plus simple de vendre des smoothies « detox » que d’expliquer qu’on peut risquer sa vie pour… un intestin qui a fait sécession.
Moi aussi, j’ai connu cette descente aux enfers. Tout a commencé avec des médicaments qui, à la base, n’avaient strictement rien à voir avec le transit. Rien à voir, sauf ce petit détail qu’on découvre après coup : l’effet secondaire. Celui qui transforme votre intestin en décor de western, sans prévenir. Comme quoi, parfois, l’enfer est pavé de très bonnes intentions… et de notices qu’on ne lit qu’après la catastrophe. Résultat : syndrome du côlon paresseux.
Un mot presque attendrissant pour désigner une situation franchement catastrophique : plus de mouvement, plus d’évacuation, plus de place.
À la clé ? Ballonnements, douleurs continues, et plusieurs occlusions intestinales. Non, une occlusion n’est pas juste une « grosse constipation ». C’est un arrêt complet du transit, avec l’abdomen qui gonfle, la douleur qui grimpe, et le risque de voir vos intestins exploser façon film catastrophe.
Un certain 11 novembre, pendant que tout le monde profitait d’un jour férié mérité, moi, j’étais sur une table d’opération, à négocier avec la faucheuse. Bilan : une intervention en urgence, et une poche digestive greffée sur l’abdomen. Pas exactement ce que j’avais prévu comme projet de vie. Mais entre ça et un aller simple pour l’au-delà, j’ai signé sans lire les petites lignes.
Après l’urgence, place au long chemin de croix : trouver le bon médecin, poser le bon diagnostic, engager le bon traitement. Un vrai labyrinthe médical où chaque consultation ressemble à un épisode de Fort Boyard, mais sans clé au bout. À force de coloscopies, d’IRM et de phrases lunaires du style « ça doit être nerveux », j’ai fini par avancer à tâtons vers une vraie solution.
Heureusement, la médecine a parfois de bonnes idées entre deux bourdes : le bouton de cæcostomie.
Imaginez une petite valve posée directement dans votre côlon. Grâce à elle, on peut réaliser des lavements antérogrades : injecter dans l’intestin un mélange parfaitement glamour d’eau propre, de paraffine et de sel. L’idée ? Forcer gentiment la tuyauterie à se réveiller, un peu comme on réveille un ado pour aller en cours.
Évidemment, ce n’est pas magique. Ça ne transforme pas votre intestin en Formule 1. Certains jours, ça fonctionne très bien, d’autres un peu moins — mais quand ça marche, c’est une bouffée de tranquillité retrouvée. Après des mois passés à jouer au ballon de baudruche humain, retrouver un intestin vaguement coopératif, c’est aussi émouvant qu’une libération sous caution.
Tout cela aurait peut-être pu être évité, ou au moins retardé, avec quelques règles élémentaires de survie intestinale. Mais franchement, qui nous les rappelle, sérieusement ?
Qu’il faut boire de l’eau — pas juste deux gorgées entre deux cafés latte ?
Manger des fibres naturelles, pas juste planter trois graines sur un croissant au beurre ?
Bouger son corps, marcher, nager, danser, bref : faire autre chose que s’asseoir à longueur de journée devant un écran en prétendant méditer ?
Écouter ses envies naturelles, au lieu de se retenir comme si c’était un sport olympique ?
Et surtout, consulter sans honte quand quelque chose coince au lieu d’attendre que la tuyauterie rende l’âme.
Ces règles toutes simples, personne ne les martèle vraiment — alors que, soyons clairs, sauver un intestin, c’est parfois sauver une vie.
🩺 Bonus – Les phrases qu’on aimerait ne jamais entendre en consultation gastro :
- « C’est sûrement dans votre tête. »
(Surtout la douleur qui me plie en deux, oui, très mentale.) - « Vous avez essayé de manger un peu de pruneaux ? »
(Oui docteur, et aussi des figues, des abricots, et mes dernières illusions.) - « Si vraiment ça vous inquiète, on peut refaire une coloscopie. »
(Non non, je m’ennuyais justement ce week-end.) - « Un peu de marche et tout devrait rentrer dans l’ordre. »
(Je vais donc organiser une randonnée intestinale de 200 km. Merci.) - « Au pire, il reste la chirurgie, mais c’est exceptionnel. »
(Tellement exceptionnel que je suis passé en salle d’opération avant même de finir la phrase.)
Car oui, la constipation sévère, la vraie, n’est pas une petite gêne bourgeoise.
C’est une menace sérieuse. Pas forcément spectaculaire, pas instagrammable du tout, mais mortelle en sourdine : perforations, infections généralisées, septicémies silencieuses.
La constipation sévère n’est pas un sujet honteux.
C’est un risque médical majeur, et une souffrance intime qu’il est urgent d’arrêter de planquer sous le tapis.
Alors oui, parfois, le vrai courage, ce n’est pas de sauter en wingsuit d’une falaise ou de traverser l’Atlantique en paddle.
Le vrai courage, c’est de s’asseoir en face d’un médecin, le regarder bien droit dans les yeux et dire :
« Bonjour docteur. J’ai un sérieux problème de merde. »
